Même en Allemagne, l’idée d’introduire une taxe sur les transactions financières est loin de faire l’unanimité. Dans une déclaration commune, publiée le 28 novembre 2011, les représentants du monde économique allemand se sont prononcés contre l’instauration d’une taxe, dont ils craignent les conséquences négatives pour l’économie dans son ensemble. Débattu lors d’une audition de la Commission finances du Bundestag – le parlement allemand – le 30 novembre 2011, le thème a donné lieu à d’âpres discussions. « Nous doutons que l’introduction d’une taxe sur les transactions financières (…) soit à même de remplir les objectifs (qu’elle entend poursuivre) », ont déclaré de concert les principales organisations représentant l’économie allemande, entre autres les influentes fédérations des chambres de commerce et d’industrie (DIHK), de l’industrie (BDI), du patronat (BDA) et des banques (BDB).
Tous les signataires de la déclaration estiment que les raisons plaidant en faveur de cette taxe ne sont « pas convaincantes » et en craignent les conséquences pour l’attribution de crédits, nécessaires à la croissance. Comme l’impôt serait au moins partiellement reporté sur les prix, c’est in fine le client – l’entreprise comme le particulier – qui en supporterait la charge, écrivent-ils. Ils jugent notamment que les entreprises seraient touchées directement dans la mesure où elles sont nombreuses à s’assurer contre les risques de change et de taux d’intérêts dans leurs exportations. Pour eux, la taxe aurait des conséquences importantes sur les fonds de pension, alors que Berlin encourage, par ailleurs, les retraites complémentaires par capitalisation.
Longtemps réservée aux activistes du groupe altermondialiste Attac, l’idée d’introduire une taxe sur les transactions financières a fait son chemin depuis quelques mois dans les priorités des dirigeants européens. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont annoncé leur accord sur ce sujet et la Commission européenne a déposé, le 28 septembre 2011, un projet qui prévoit la création d’une taxe sur les transactions financières, baptisée TTF, dans les 27 pays de l’UE. À défaut de participation de tous les pays membres de l’UE, l’accord pourrait être réduit aux pays de la zone euro. Le Royaume-Uni a déjà annoncé son refus de se plier à une telle taxe. Selon le projet présenté par la Commission, la taxe s’appliquerait à partir de 2014 à un large champ de produits financiers : actions, obligations, produits dérivés et produits structurés. Au total, 85% des transactions financières seraient touchées. Elle serait perçue auprès des banques, des bourses et des fournisseurs de services financiers. Le taux resterait bas: 0,1% sur les titres et 0,01% sur les produits. Les crédits bancaires et hypothécaires, les opérations de change, les contrats d’assurances et autres produits financiers destinés aux particuliers n’entrent pas dans l’assiette.
La Commission européenne estime qu’une telle taxe pourrait engranger des entrées fiscales d’environ 57 milliards d’euros. Elle calcule cependant qu’à long terme, pourrait se créer sur la croissance de l’UE un préjudice s’élevant à 1,76%. Statistiquement, cela représenterait une baisse des recettes fiscales de 80 milliards d’euros dans l’UE. La Bundesbank, la banque centrale allemande, a, elle aussi, mis en garde contre les risques. L’introduction de la taxe au plan européen, ou simplement dans la zone-euro, aurait pour conséquence la délocalisation d’activités financières sur d’autres marchés, estime-t-elle. « Dans le cas d’une introduction d’une taxe limitée à l’Europe (notamment si le Royaume-Uni ne participe pas), il faut s’attendre à un désavantage des pionniers sans effet de rattrapage par les autres », a-t-elle indiqué dans un communiqué.
Mais les défenseurs de la taxe dite Tobin, du nom de l’économiste qui, le premier, a énoncé le principe d’une taxe sur les transactions financières en 1972, sont nombreux en Allemagne. À l’audience de la Commission finance du Bundestag, Dirk Müller, trader, a ainsi défendu la taxe devant les députés, estimant que la protection contre les risques de cours, invoqués par les représentants du monde économique pour refuser la taxation des produits dérivés ne représentait « qu’une petite partie des échanges. Pour 0,05% de taxe, le monde ne va pas s’écrouler », a-t-il conclu.