Immobilier – L’Europe au mètre carré

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Attisé par la faiblesse des taux d’intérêt et la boulimie des investisseurs, le marché de l’immobilier flambe dans les pays de l’Union. Une hausse qui nourrit les inquiétudes des économistes et de la Banque centrale européenne. Ce n’est qu’un murmure, mais le mot « bulle » a été prononcé. Les politiques locales de construction et de rénovation seraient la seule parade à un éventuel effondrement du marché. Et certains territoires s’illustrent déjà sur la question…

Où vont les prix de l’immobilier ? À cette question posée par des journalistes, le respecté président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Alan Greenspan, ne savait pas quoi répondre. Il est vrai que les récentes observations sont édifiantes. Partout dans le monde, le marché de l’immobilier ne fait que grimper. 
Aux États-Unis, le prix des maisons a augmenté de 50 % au cours des cinq dernières années. Au Japon, une étude publiée par Mercer HRC vient de sacrer Tokyo « ville la plus chère du monde », avec des loyers mensuels pouvant atteindre 10 000 euros pour un simple appartement. C’est trois fois plus qu’à Paris ! Le marché français est toutefois toujours orienté à la hausse. De mai 2004 à mai 2005, ce dernier a encore progressé de 14 % d’après la Fnaim (Fédération nationale de l’immobilier). Et pourtant les Français ont moins de raisons d’être inquiets que leurs voisins d’Europe. C’est en tout cas ce que révèle le rapport annuel du Conseil européen des professions immobilières (Cepi) daté d’avril 2005.
Le constat le plus étonnant, qui ressort de cette étude, est probablement la situation de l’Espagne. Madrid et Barcelone y apparaissent en effet comme les villes les plus chères d’Europe pour les maisons d’habitation – Paris et Londres étant considérés hors norme par le Cepi. Une autre analyse du réseau d’agences immobilières Era, indique que les prix ont pris 18 % sur le Royaume ibérique et que les transactions ont doublé pour atteindre un million de logements vendus. C’est sans doute en raison des politiques volontaristes de constructions à Madrid que cette frénésie a commencé. Mais aussi un peu à cause des 135 000 ventes de résidences secondaires, enregistrées en 2003 par les agences Era, réalisées par des acheteurs étrangers notamment de Grande-Bretagne et d’Irlande. Il faut dire que chez eux la pierre vaut de l’or…
En Grande-Bretagne surtout, où les agences immobilières britanniques ne peuvent satisfaire une demande plus forte que l’offre, ce qui a créé une élévation des prix sur tout le territoire. D’autant que la culture liée à la propriété est très présente dans les familles d’Angleterre et d’Irlande. Londres est sans conteste la capitale la plus chère d’Europe avec un prix au mètre carré de 6 485 euros selon Era immobilier. Pour un appartement de deux chambres à coucher, c’est Paris qui arrive derrière Londres avec plus de 5 000 euros le mètre carré, suivi de Madrid, Stockholm, Luxembourg, puis Dublin.
Concernant la vente des maisons (150 m2), outre Madrid, Rome affiche les plus hauts prix de l’Union. D’une manière générale, il faut compter entre 2 000 et 2 700 euros par mètre carré pour se loger en pavillon dans une capitale européenne. Rien n’est à la baisse sauf en Allemagne et en Autriche qui sont les deux seuls États membres à afficher une baisse de respectivement 2,4 % et 2,2 % en 2004 par rapport à 2003. Personne n’est épargnée, même pas les nouveaux entrants : les prix en Lettonie ont connu entre 30 % et 35 % d’augmentation en une année.

Des indices de « bulle »
La hausse générale des prix de l’immobilier en Europe ne décourage pas encore les investisseurs. D’après l’enquête des agences Era, 62 % des Européens seraient propriétaires de leur logement. Avec un taux de 85 % en 2003, les Espagnols détiendraient le record, notamment grâce à des mesures fiscales intéressantes. S’en suit l’Irlande (81 %), la Belgique (75 %) et la Grande-Bretagne (71 %). Avec 55 %, la France s’illustre parmi les taux de propriétaires les plus bas d’Europe (hors nouveaux entrants). C’est la Suisse qui obtient la palme avec 35,5 % de propriétaires. Le marché helvétique étant principalement locatif.
Reste que les premières tensions ne se sont pas fait attendre dans certains pays. Malgré la faiblesse prolongée des taux d’intérêt, la part des primo-accédants, déconcertés par les prix, commence à décroître depuis 1998. Aujourd’hui, le marché de l’immobilier est davantage aux mains d’acquéreurs qui revendent un bien pour en acheter un autre, ou alors, ce sont des grands investisseurs.
Il faut dire que la hausse bénéficie largement à l’économie des États. Les secteurs de la construction, des biens d’équipement multiplient leurs chiffres, alors que la population, poussée à la consommation, est entretenue dans un sentiment d’enrichissement. L’immobilier comme moyen de maintenir une croissance économique ? Un leitmotiv qui gêne certains observateurs du marché à l’image du magazine britannique « The Economist ». Selon lui, les prix de l’immobilier ne sont pas suffisamment soumis aux fluctuations de la croissance économique.
Les prévisions sont sans appels pour « The Economist » : le marché de l’immobilier devrait chuter de 50 % en Espagne, de 25 % aux Pays-Bas et de 20 % en Irlande. Ce serait la seule condition pour réajuster ces prix au niveau des salaires.
Une récente étude du courtier Exane BNP-Paribas tire à boulet rouge sur la situation jugée « intenable ». Les auteurs évaluent la probabilité d’un krach immobilier dans les 18 mois à venir à 20 % ! Si les prix continuaient de flamber à hauteur de 15 % ou 20 % par an, le risque d’un effondrement atteindrait les 70 % en 2007. Pour les pessimistes, la seule solution consisterait à accroître l’offre des logements en accélérant la construction et la rénovation. Le risque est celui d’une « bulle » qui, par définition, devra bien éclater un jour ou l’autre. D’autres professionnels, comme les promoteurs et les agents immobiliers, encourage plus encore les achats. Pas question d’imaginer un krach. Eux aussi s’appuient d’études : selon la Société royale des experts immobiliers britanniques (RICS), le risque d’un éclatement du marché résidentiel européen est très faible en 2005. Bien au contraire, le RICS s’attend « à une nouvelle année de forte croissance ».
Qui faut-il croire ? En prononçant le mot « bulle », les économistes n’ont-ils pas voulu faire allusion à l’hécatombe survenue au lendemain de la hausse des cours de la Bourse à la fin des années 90 aux États-Unis ? La Réserve fédérale américaine (Fed) reste réservée, tout comme elle l’avait été en 2000. Selon la Fed, il est impossible de prévoir un éclatement du marché. Il n’empêche que l’inquiétude est d’actualité. Ainsi, la Banque centrale européenne (BCE), agacée par le laisser-faire de la Fed, a démontré dans son rapport mensuel en avril dernier, qu’il n’était pas impossible de savoir si la hausse du prix des actifs tant boursiers qu’immobiliers était excessive ou non. Pour les banquiers centraux, si les prix dépassent le seuil normal d’une rentabilisation de l’investissement – un loyer par exemple – il peut y avoir un « indice de bulle ». Pour d’autres observateurs, si la BCE tire la sonnette d’alarme, cela signifie que les prix ont assez augmenté.

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