Ranjan Mathai travaille pour les services diplomatiques depuis plus de trente-cinq ans. Il a été notamment ambassadeur en Israël, au Qatar et dans de nombreuses autres ambassades indiennes, à Vienne, Washington ou encore Bruxelles. Il est ambassadeur de l’Inde en France depuis janvier 2007.
Commerce International : Ces deux dernières années, comment l’économie indienne a-t-elle évolué ?
Ranjan Mathai : « L’économie indienne qui est, avec plus de mille milliards de dollars (plus de 720,7 milliards d’euros, ndlr), l’une des dix premières au monde et la 4e en termes de parité du pouvoir d’achat, a montré une grande résistance en émergeant rapidement de la crise économique. En 2008-2009, la croissance économique a ralenti de quelques points, mais le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) est aujourd’hui revenu à 8-8,5 %, et certaines prévisions sont même supérieures. Les taux de croissance élevés sont durables en raison de nos taux d’épargne et d’investissement domestique, de l’ordre de 35-37 % du PIB, et de la considérable augmentation du flux de l’investissement direct à l’étranger (IDE), supérieur à 30 milliards de dollars (21,6 milliards d’euros, ndlr) par année. D’importants investissements sont réalisés dans les deux domaines essentiels, à savoir les infrastructures physiques (réseaux routiers et ferroviaires, ports, production d’énergie, etc.) et les infrastructures sociales, en particulier l’éducation, la santé et le soutien au milieu rural. Ces investissements transformeront la scène économique indienne. Notre défi consiste à soutenir ce que nous appelons la “ croissance solidaire ”, à savoir une croissance à laquelle chaque échelon de la société participe. »
Comment l’IDE et plus particulièrement les investissements français se portent en Inde ?
R. M. : « L’IDE s’élevait à 34 milliards de dollars en 2009 (24,5 milliards d’euros), soit une importante augmentation par rapport aux 25 milliards enregistrés en 2007-2008, et un chiffre considérablement supérieur aux 4-5 milliards de dollars enregistrés au début de la décennie. Pour 2012, notre objectif s’élève à 50 milliards de dollars (36 milliards d’euros). L’IDE français progresse également. Selon nos chiffres, la France a investi 1,6 milliard de dollars (1,15 milliard d’euros) en cumulé, et représente le 10e investisseur en Inde. L’Inde compte sur son territoire 750 sociétés françaises, couvrant plusieurs secteurs d’activités tels que le ciment, le verre, l’automobile, les machines électriques, l’habillement, etc. Les sociétés françaises affichent une intention d’investir davantage en Inde (à hauteur de 8 milliards d’euros selon certaines estimations), mais le rythme des investissements reste lent. Parmi les pays européens, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Allemagne sont les plus grands investisseurs, suivis par la France. Une société, Invest India, a été créée par le gouvernement indien, les gouvernements fédéraux et la Fédération indienne des chambres de commerce et d’industrie (FICCI) afin d’attirer et de faciliter les investissements en Inde. Cette initiative pourrait s’avérer utile, en particulier pour les petites et moyennes entreprises cherchant à investir en Inde. Étant donné la considérable croissance de la classe moyenne indienne – environ 300 millions de personnes – et les importants taux de croissance, je pense qu’il existe des opportunités d’investissement pour les entreprises françaises en Inde. »
Quelles sont les opportunités pour les PME européennes prévoyant de s’installer en Inde ?
R. M. : « Les PME européennes sont reconnues pour leur haute technologie et leur innovation. Des opportunités existent dans les secteurs des biotechnologies, de l’agroalimentaire, des énergies renouvelables et des technologies de l’information/BPO (externalisation des processus d’affaires). Certaines mesures institutionnelles de soutien aux PME devraient toutefois être mises en place. Environ 300 PME se sont jointes à la délégation dirigée par la secrétaire d’État chargée du Commerce extérieur, Anne-Marie Idrac, lors de sa visite en Inde en 2006. Des PME françaises ont engagé un dialogue avec les officiels indiens et ont pris contact avec des organisations telles que NASSCOM (représentant l’industrie des logiciels, des technologies de l’information et de l’électronique), l’AEPC (exportation dans le domaine de l’habillement) et l’APEDA (industries alimentaires). Je pense que le climat commercial en Inde attire les sociétés étrangères. Les principales exigences concernent une meilleure information vis-à-vis du potentiel et des possibilités de création de partenariat, de coentreprises, et des moyens de s’attaquer aux différents marchés indiens. Les sociétés étrangères doivent adopter une stratégie pour les riches consommateurs urbains, mais elles doivent également étudier les grands marchés ruraux, où le coût représentera un facteur déterminant. »
Quel est le cadre commercial entre la France et l’Inde ?
R. M. : « L’Inde et la France ont conclu un accord économique et commercial en 1976. Un comité mixte pour la coopération économique et technique a été mis en place pour superviser les liens commerciaux et économiques entre nos deux pays. Des réunions sont organisées au niveau ministériel alternativement à Delhi et à Paris. La 16e session de ce comité s’est tenue à Paris les 24 et 25 juin 2010. Les relations commerciales franco-indiennes doivent également être étudiées dans le contexte des relations entre l’Union européenne (UE) et l’Inde. L’Inde a toujours considéré l’UE comme un partenaire essentiel et a été l’un des premiers pays en voie de développement à conclure un accord commercial avec la CEE au début des années 1960. Depuis, des évolutions générationnelles ont été apportées à nos accords. Nous négocions actuellement un accord de libre-échange entre l’Inde et l’UE. »
Comment se caractérisent les relations commerciales entre la France et l’Inde ?
R. M. : « La France se situe au 5e rang, après le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne et l’Italie, sur la liste des partenaires commerciaux de l’Inde parmi les pays de l’UE. Les échanges commerciaux entre la France et l’Inde s’élèvent à environ 6 milliards d’euros par an. Les échanges se sont largement équilibrés au cours de ces dernières années. Les exportations françaises vers l’Inde s’élèvent à 1,8 % du total des exportations françaises et les exportations indiennes vers la France sont également inférieures à 2 % du total de nos échanges. Les opportunités d’expansion sont donc considérables. Les principales exportations indiennes concernent les produits pétroliers raffinés, le textile et l’habillement, les produits de grande consommation et les articles de cuisine. Les principales exportations françaises concernent l’aviation, la machinerie, l’équipement de transport, les produits chimiques… Il est important d’intensifier la diversification des marchés. Les industries indiennes des infrastructures, nos exigences en matière de transformation des aliments, de hautes technologies, et la considérable demande pour les biens de grande consommation soutiennent nos grandes perspectives. »
Quid de l’avenir ?
R. M. : « En 2008, le président français Nicolas Sarkozy et le Premier ministre indien, le Dr Manmohan Singh, ont fixé un objectif, à savoir doubler les échanges à hauteur de 12 milliards d’euros d’ici fin 2012. En 2009, nous avons assisté à un ralentissement en raison de la crise économique mondiale, mais en 2010, la croissance est en hausse de 21 % au cours des six premiers mois par rapport aux années précédentes. Je pense qu’avec des efforts suffisants des deux côtés, l’objectif devrait être atteint. La mise en place du forum des PDG représente un important développement récent. Il permettra aux principaux dirigeants indiens et français de développer de nouveaux réseaux plus personnalisés. Je suis très optimiste vis-à-vis des perspectives pour les échanges et investissements indo-français. »