Commerce International : Dans Sociologie des prénoms, vous parlez de processus de diffusion des prénoms entre classes sociales. Comment les sociologues travaillent-ils sur cette question ?
Baptiste Coulmont : « Nous disposons de plusieurs sources documentaires. L’enquête Emploi de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques, ndlr), qui contient des données socioprofessionnelles et d’état civil d’une dizaine de milliers de personnes environ, constitue un élément important pour la recherche. Les informations émanant de l’Éducation nationale, des caisses d’allocations familiales ou encore des départements nous intéressent aussi. Enfin, j’étudie les “ carnets ” des journaux, en particulier celui du Figaro pour les prénoms bourgeois, et le Bottin mondain. »
La « circulation descendante » des prénoms, « du sommet de l’échelle sociale aux classes populaires », se repère moins bien aujourd’hui que dans les années 1970. Comment les choix parentaux s’opèrent-ils désormais ?
B. C. : « Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, les prénoms attribués dans la bourgeoisie se retrouvaient vingt ans après dans la classe ouvrière. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les catégories populaires ont tendance à s’intéresser à des prénoms non choisis par les classes sociales supérieures, voire stigmatisés par celles-ci, puisant notamment dans les prénoms anglo-saxons. On observe aussi des choix “ innovateurs ” effectués par certaines professions et catégories socioprofessionnelles (de l’employé au cadre). Le phénomène de diffusion de mode s’efface au profit d’un développement de goûts différents – de “ répertoires spécifiques ”. Les déterminants sociaux dans les choix demeurent donc centraux, mais sous d’autres formes qu’auparavant. »
Quelles différences notables avez-vous relevé entre la prénomination en France et dans d’autres pays ?
B. C. : « L’une des différences majeures réside dans le nombre de prénoms attribués. En France, environ 15 000 sont attribués à plusieurs reprises chaque année ! En Grande-Bretagne par exemple, on ne retrouve pas une telle diversité ; ceci s’explique notamment par le goût des Britanniques à utiliser des surnoms – comme les Américains d’ailleurs. En outre, les parents y sont moins sensibles aux effets de mode qu’en France lorsqu’ils font leur choix (1). »
(1) Une grande partie des comparaisons internationales présentées par Baptiste Coulmont dans Sociologie des prénoms concerne les choix onomastiques des immigrés et de leurs descendants, ndlr.