Commerce International : Quelle sera votre méthode, disons personnelle, au poste de ministre délégué au Commerce extérieur ?
Christine Lagarde : « Pour moi, la dimension collective de notre action est déterminante. De mon expérience américaine, je retire une grande leçon, le sens du travail en équipe. Les objectifs que je me suis donc fixée tiennent en trois mots : simplicité – efficacité – lisibilité. Ils s’appliquent tant aux personnes qui travaillent autour de moi au jour le jour qu’à notre action commerciale à l’étranger. Ces objectifs contribuent à stimuler les énergies et à renforcer l’exigence d’échange et de communication, gage de notre réussite. »
Pourquoi embrasser aujourd’hui une carrière politique ?
C.L. : « La politique est l’art de transformer la société, elle est un moyen d’agir sur le monde. Dans mes anciennes fonctions, j’avais une influence bien modeste sur le tissu économique américain et international. J’ai ainsi le sentiment d’une continuité de mon action par d’autres moyens, et cette fois au service de la France et non plus des intérêts privés d’une entreprise, même multinationale. J’ai aussi le sentiment que les femmes sont trop peu présentes au sommet du pouvoir, qu’il soit économique ou politique, et j’espère encourager les vocations féminines. Les fonctions de direction ne sont certainement pas réservées à une élite masculine, les femmes peuvent également y prendre plaisir, non sans succès. »
Votre expertise de l’international devrait être largement appréciée alors que les intérêts français seront à défendre devant l’OMC. Quel regard portez-vous sur ces prochains enjeux ?
C.L. : « Les enjeux du cycle de Doha sont déterminants pour la croissance des échanges internationaux et pour les pays en développement. Le président de la République a souvent rappelé notre engagement pour que les pays les moins avancés, les PMA, bénéficient d’un cadre multilatéral qui leur permet d’intégrer le commerce global, et ainsi de prendre part à la croissance mondiale. Par ailleurs, l’Europe et la France ont aussi des intérêts économiques à défendre. Nous souhaitons que les échanges de biens industriels soient stimulés par l’abaissement des droits de douane. In fine, tout le monde en sortira gagnant, les consommateurs grâce à des prix plus bas, les entreprises grâce aux gains de productivité que permettront les économies d’échelle. Il y va de notre capacité d’adaptation au monde moderne, qui se dirige vers une société de la connaissance. Notre ouverture économique maîtrisée est le gage de notre réussite de demain. Malheureusement, il semblerait pour le moment que les propositions européennes pour les négociations de l’OMC n’aient pas encore suscité de contreparties suffisantes de l’autre côté de l’Atlantique. »
Avec votre connaissance du monde des affaires nord-américaines, pensez-vous que les intérêts européens, voire français, sont obligatoirement en compétition avec les intérêts économiques des États-Unis ? On pense notamment à certaines OPA…
C.L. : « Il y a deux choses bien différentes: d’une part, la concurrence entre les entreprises est saine et relève de l’économie de marché. Ce modèle économique a fait ses preuves, car la compétition garantit aux consommateurs des prix plus bas et favorise l’innovation. Cette compétition doit évidemment être encadrée, elle doit rester loyale et l’État doit jouer pleinement son rôle d’arbitre pour éviter les ententes illicites ou les abus de position dominante qui faussent la concurrence. Nous devons favoriser l’environnement juridique qui permet aux entreprises de s’épanouir pleinement par la concurrence. Mais, d’autre part, il est clair que dans certains domaines, stratégiques par leurs aspects militaires ou sociaux, l’État doit aussi pouvoir conserver son service public et favoriser l’émergence de champions nationaux, voire européens. Il n’y a, à mon sens, aucune contradiction entre une politique saine de concurrence et une politique industrielle, que tous les États du monde poursuivent à juste titre, les États-Unis comme les autres. Nous n’avons donc pas de leçon à recevoir de ce côté-là. »
Le « non » français au référendum du 29 mai doit-il être pris en considération par le commerce extérieur français ?
C.L. : « Bien sûr, nous ne sommes pas dans une bulle, déconnectés des réalités politiques qui nous entourent. Le non au référendum exprime entre autre, selon moi, une peur de la mondialisation sous toutes ses formes, qu’elle prenne le visage du textilier chinois ou du plombier polonais. Le gouvernement français a pris toute la mesure du message qui a été adressé à l’Europe tout entière. L’Europe ne se fera pas sans les citoyens, contre les citoyens.L’élargissement trop rapide, a pu, à cet égard, alimenter les peurs et les fantasmes. Nous sommes déterminés à ce que les prochaines étapes de la construction européenne soient plus strictement encadrées et que tous y soient plus systématiquement consultés et associés, dans un souci d’efficacité bien sûr, mais surtout dans l’intérêt de la démocratie. Mais la mondialisation ne se réduit pas aux seuls échanges internationaux. Les Français ne refusent pas l’échange et l’ouverture, au contraire. Ce qu’ils souhaitent, c’est que cette ouverture au monde se fasse de manière transparente et maîtrisée, selon des règles connues de tous et dans le respect de la diversité et des traditions de chacun. Le ministère du Commerce extérieur joue sa partition, notamment dans les négociations de l’OMC, pour promouvoir une mondialisation régulée, maîtrisée et humaine. »
Durant vos premières semaines au ministère, vous avez pu vous faire une idée concrète du commerce extérieur français. Quelles seront donc vos priorités ?
C.L.: « Nous voulons rendre notre action plus lisible, plus simple et plus efficace. Nous concentrons les moyens et les acteurs publics là où ils seront les plus utiles ! Ubifrance, les Missions économiques, les Directions régionales du commerce extérieur, les Conseillers du commerce extérieur. Nous avons aussi fixé une liste de pays et de secteurs prioritaires que nous avons retenus pour leur fort potentiel de croissance. Nous voulons enfin pousser les PME à exporter, car elles sont souvent absentes à l’international. Pour cela, nous avons mis au point des mesures spécialement adaptées au développement à l’export des PME, visant notamment à les regrouper pour décupler leurs forces à l’international. J’invite les entreprises à naviguer en escadre plutôt qu’en solitaire. »
Au début de cette année, le gouvernement a décidé d’assouplir les règles relatives à l’attribution des agréments VIE (Volontariat international en entreprise). Quelles sont les premières retombées de ces aménagements ?
C.L.: « Notre idée est de favoriser le recrutement de VIE par des allégements fiscaux et par des conditions souples de recrutement. C’est le genre de contrats gagnant-gagnant : d’un côté, des jeunes peuvent acquérir une première expérience à l’international et valoriser leur CV ; de l’autre côté, les PME pourront bénéficier à la fois de la motivation, des connaissances et des méthodes modernes dans des conditions avantageuses. Nous avons déjà 3 000 VIE en poste dans des entreprises ; notre objectif est de doubler leur nombre dans les douze mois. Je participerai d’ailleurs à une journée d’information organisée pour ces jeunes qui vont partir, le 3 octobre. »
On a rapporté que vous estimiez que certains aspects du droit social pouvaient constituer « un frein à l’embauche » et « aux décisions d’entreprendre ». Pouvons-nous en savoir davantage ?
C.L.: « Le droit social est précieux, et comme toutes les branches du droit, il est vivant et il évolue. Il reflète les grands changements de société. Nous apprenons toujours les uns des autres. Comme le disait si bien Paul Valéry, “mettons en commun ce que nous avons de meilleur et enrichissons-nous de nos différences“. »