Sport professionnel : l’ascension des pays émergents

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Joseph Blatter, président de la FIFA
A l’image du Brésil, les économies émergentes et leurs entreprises occupent de plus en plus de place dans le monde du sport professionnel. Une configuration qui pourrait faire bouger les lignes, malgré certains obstacles.

 

« Une montée en puissance des pays émergents. » C’est ce que révèle une étude publiée en 2011 par le cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers sur les tendances actuelles et futures du sport business. Comme dans d’autres secteurs, les BRIC, regroupant le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, s’illustrent par des performances séduisantes. La croissance moyenne du marché du sport sur la période 2011-2015 est de 4,5 % pour ces pays. Elle atteint même 5,3 % pour le Brésil, locomotive de l’Amérique latine. La croissance pour le bloc Europe-Moyen-Orient-Afrique est de 2,9 % en moyenne, mais elle atteint 6,8 % si l’on se restreint aux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

Les économies émergentes investissent de plus en plus le sport professionnel et les équipementiers de renom ne s’y trompent pas. Dans son plan stratégique qui court jusqu’en 2015, Adidas prévoit que la moitié de sa croissance provienne de trois pays : la Chine, la Russie et les États-Unis. En raison de leur poids démographique et de leur croissance économique, les deux premiers sont en passe de devenir des marchés de masse. Dans les années à venir, son objectif n’est pas de lancer des marques spécifiques sur les marchés émergents, mais d’exploiter le potentiel de croissance qui réside sur ses propres marques. Adidas fut longtemps le fournisseur officiel de l’URSS. À l’heure actuelle, en Russie, la marque est de loin le leader et Reebok, dont le groupe est propriétaire, est le numéro deux du marché. Une des clés dans les nouveaux pays en forte croissance est d’accompagner les acteurs par le biais de la franchise ou de construire des réseaux de distribution appropriés. L’investissement dans le commerce électronique est également privilégié. Les nouvelles générations de consommateurs semblent attendre une meilleure disponibilité de l’offre sur le Web. En 2015, le groupe envisage de réaliser 500 millions d’euros de ventes dans le monde par le biais d’Internet. « L’émergence de nouvelles puissances économiques peut changer les investissements. On parle non seulement de territoires capables d’accueillir de grands événements sportifs, mais il s’agit également et avant tout de marchés ouverts à de nouveaux consommateurs. La Russie, la Chine, l’Inde ou le Brésil figurent parmi les pays étudiés de près à l’heure actuelle par les équipementiers », constate Vincent Chaudel, conseiller en management du sport au sein du cabinet de conseil Kurt Salmon.

Parmi ces nouvelles puissances, le Brésil notamment attire les regards. En pleine préparation de la Coupe du monde de football 2014 et des Jeux olympiques 2016, la sixième puissance économique mondiale suscite l’intérêt de nombreux investisseurs. Les sommes en jeu montrent que les projets sont de grande envergure, alors même que le niveau de croissance globale révèle quelques signes de faiblesse (seulement 2,5 % en 2011). 11 milliards d’euros sont investis dans les chantiers de la Coupe du monde et environ 14 milliards d’euros pour les Jeux olympiques de 2016. Les travaux devraient générer quelques 330 000 emplois fixes et 380 000 emplois temporaires. Le pays mise aussi sur un afflux de touristes d’environ 3 millions. L’essor à venir aura de fortes retombées. Les grandes puissances espèrent toutes tirer profit de la manne à venir. Le président américain Barack Obama a clairement exprimé sa position en disant que « les États-Unis ne veulent pas assister aux Jeux olympiques sur le banc de touche. » Il estime que les entreprises nord-américaines doivent jouer « un rôle actif dans le processus. Le Brésil a besoin de construire de nouvelles routes, des ponts et des stades, et nos entreprises sont prêtes à les aider à relever le défi. »

Avec l’essor du sport business dans les économies émergentes, de nouvelles sociétés s’intéressent au sponsoring. Tout comme les grands groupes occidentaux, elles veulent profiter de la forte visibilité qu’apportent les investissements au cours d’événements très suivis médiatiquement. À tel point que leur présence croissante suscite l’inquiétude. « On entend souvent des préoccupations à propos de l’apparition de sociétés issues des pays émergents et des risques de modification du sponsoring. C’est une crainte qui n’a pas lieu d’être. Il y a de la visibilité pour tout le monde », estime Thierry Weil, directeur marketing de la FIFA (Fédération internationale de football association). En plus des épreuves très connues comme la Coupe de monde de football et le championnat d’Europe des nations, cette organisation gère de nombreux autres événements qui forment autant de vitrines, comme la Coupe du monde des moins de 20 ans, la Coupe du monde des moins de 17 ans, la Coupe du monde de futsal, la Coupe du monde féminine, ou encore la Coupe du monde de beach soccer. Pour Vincent Chaudel, les investisseurs pourraient rapidement se tourner vers de nouveaux continents comme l’Amérique du sud : « le Brésil est une terre de talents, mais à l’heure actuelle, bon nombre d’entre eux partent vers l’Europe, notamment dans le football. La dynamique du pays qui devient de plus en plus importante sur le plan politique, économique et diplomatique peut cependant changer la situation. Si les talents de demain restent davantage en Amérique du sud, l’équilibre économique dans son ensemble se modifiera. »

 

Des zones d’ombre

Certains acteurs du sport dénoncent toutefois des pratiques douteuses et obstacles qui pourraient susciter la méfiance des entreprises. Dans certaines villes brésiliennes qui accueilleront des matchs du Mondial 2014, la construction des stades serait suspendue afin de pouvoir les classer ensuite en « chantiers d’urgence. » Une manière d’échapper légalement à certaines exigences des appels d’offres. On craint déjà que l’expérience des Jeux panaméricains de 2007 à Rio se réitère. Des constructions pharaoniques avaient été érigées à cette occasion, et étaient devenues obsolètes une fois les festivités sportives terminées. Les exonérations accordées aux entrepreneurs par Brasília depuis 2011 font gagner du temps grâce à des contrats plus flexibles, mais sont la porte ouverte à une corruption importante. Plusieurs ministres brésiliens, invités à quitter récemment leur poste pour corruption, ont démissionné à la suite d’affaires directement liées aux contrats de la prochaine Coupe du monde de football, comme Mario Negromonte, ex-ministre de la Ville et chargé des projets de liaison entre les sites, ou encore Pedro Novais, ministre du Tourisme, accusé d’avoir favorisé certaines entreprises dans le programme de formation du personnel de service pour la Coupe du monde. Même Ricardo Teixera, qui était à la tête de la Confédération brésilienne de football (CBF) et du Comité organisateur (COL) du Mondial 2014, est accusé de malversations. Il a démissionné en mars 2012.

Par ailleurs, le projet de loi pour la régulation de la Coupe du monde 2014, que la FIFA impose comme cadre économique au pays, va à l’encontre de la législation brésilienne et suscite également la polémique. Il demande par exemple la vente d’alcool dans les stades, actuellement interdite au Brésil, l’interdiction des tarifs préférentiels aux étudiants, aux handicapés, aux bas revenus et aux retraités, ou encore la suspension de la loi Pelé qui distribue 5 % des droits télévisés aux associations sportives.

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