Après quatre ans et demi de négociations, le cycle aurait déjà dû être bouclé à la fin de l’année dernière. En matière de services, elles ont bien avancé, mais les questions qui préoccupent tout le monde sont celles concernant les produits agricoles et industriels. Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a eu fort à faire pour essayer de débloquer le « triangle maudit » que constituent les États-Unis, l’Union européenne et les grands pays émergents du G20, dont le Brésil, la Chine et l’Inde. Il aurait fallu que les Américains acceptent de réduire les subventions à leurs exportations agricoles, que les Européens baissent les droits de douane agricoles et que les pays du G20 ouvrent leurs marchés de produits industriels. En outre, parmi les pays du G20, il n’y a pas d’unité de négociations au sein d’un même group. L’Inde bien sûr a besoin de protéger son agriculture, elle ne peut pas se permettre actuellement un afflux massif de la population rurale vers les villes.
La Chine réclame un abaissement des tarifs des produits industriels. Le Brésil demande une diminution du soutien interne des produits agricoles américains, mais il ne faut pas oublier que certaines des grandes exploitations agricoles brésiliennes appartiennent à… des sociétés américaines ou européennes ! À la suite des propositions européennes du 28 octobre 2005, et de la réforme agricole de 2003, les Européens estiment que c’est maintenant aux autres de faire des propositions, sous-entendu « c’est les Américains qui créent le blocage ». À la réunion ministérielle à Hong-Kong en décembre dernier, l’Union européenne avait réussi à garder un front uni. D’ailleurs, en ce qui concerne la politique agricole, la France n’a jamais été isolée au sein des Vingt-Cinq : 14 autres pays sont sur la même ligne et ils ne sortiront pas de la proposition du 28 octobre 2005.
Les espoirs s’amenuisent
Désormais, les États membres se raccrochent à deux espoirs pour parvenir à un accord : le sommet du G8 à la mi-juillet à Saint-Pétersbourg, en marge duquel devrait se tenir une réunion des grands acteurs de l’OMC ; et une plus grande implication de Pascal Lamy dans la recherche d’un consensus. Le danger étant que dans le cas d’un échec du cycle de Doha, les négociations vont se faire ailleurs, notamment sur le plan bilatéral. Le commerce mondial risque de connaître des réductions par « bandes de produits », par exemple dans la filière bovine. Et les pays du G20 – qui n’ont pas vraiment de position commune –, risquent une descente vers une baisse tarifaire de leurs produits industriels très forte. Certaines avancées, telle la disparition des subventions agricoles européennes à l’exportation à l’horizon 2013, favorable aux pays en développement, pourraient même être rendues nulles.
Le commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, a dû convaincre les Ving-Cinq qu’il faut bouger à condition que les autres parties fassent de même. Mais Mandelson doit rester dans les limites de son mandat de négociations au nom de l’UE, s’il dépasse son mandat, il doit revenir devant le Conseil européen. Susan Schwab, la nouvelle représentante au Commerce américain succédant à Robert Portman dans les négociations, n’a pas proposé des offres supplémentaires. « Mais, selon Christine Lagarde, ministre au Commerce extérieur, qui s’exprimait devant la presse la veille de son départ pour Genève, il n’y a pas de catastrophe, même si un accord n’est pas obtenu. Il vaut mieux pas d’accord du tout qu’un mauvais accord ». Quand à Dominique Bussereau, ministre de l’Agriculture, il estime que l’Europe ne doit pas être le seul banquier du cycle de Doha.
Risque de bilatéralisation
Les rendez-vous manqués se sont succédés, et le calendrier devient très difficile. Les élections dans le monde vont se multiplier et faire passer au second plan les négociations. Le scrutin américain de Mid-Term (mi-mandat) aura lieu en novembre. La TPA ou « Trade Promotion Authority », communément appelé « fast track » qui laisse à la Maison Blanche les mains libres pour négocier à l’OMC, arrive à expiration en juin 2007. Mais en toute négociation importante, les concessions se font généralement à la dernière minute, c’est la « position brésilienne ». D’ailleurs, le président Lula est déjà entré en campagne électorale. Et, en France, la course à l’Elysée aura lieu au printemps prochain.
Avec ce nouveau blocage, serait-ce la fin du cycle de Doha ? A cette question Christine Lagarde répond : « S’il n’y a aucun accord avant décembre 2006, deux hypothèses se présentent : Réduire les champs d’applications décidés à Singapour. Rallonger le calendrier des négociations, au risque de voir se développer des négociations bilatérales au détriment des négociations multilatérales de l’OMC. Il y a déjà des accords bilatéraux en négociations entre les États-Unis et le Maroc, l’Égypte. De son côté, l’UE négocie également des accords bilatéraux, mais ce sont des accords de moindre importance. »