Commerce International : Vous retracez l’histoire du pétrole algérien depuis cinq décennies. Le bilan est catastrophique, surtout depuis les années 1980. Pourquoi ce livre aujourd’hui ?
Hocine Malti : « Parce que j’ai des choses à dire aux générations montantes. J’ai travaillé dans et pour le secteur pétrolier algérien pendant 20 ans, dont plusieurs années à la Sonatrach. Or les Algériens ignorent presque tout de cette entreprise, d’une part parce que le secteur est technique et fermé, d’autre part à cause des différents bouleversements politiques. Ils ont généré des changements d’équipes à l’intérieur du système, empêchant la transmission d’information entre générations. Je souhaite aussi lancer un pavé dans la mare : depuis longtemps, l’industrie pétrolière est devenue la propriété totale du pouvoir et son entourage. »
Vous n’appartenez plus à la Sonatrach depuis longtemps. Comment avez-vous travaillé à l’écriture du livre ?
H. M. : « J’ai travaillé pour le gouvernement algérien, dans le secteur pétrolier, jusqu’en 1982, puis je suis devenue consultant pétrolier en 1985. Ma profession m’oblige à demeurer au courant des événements, et j’ai gardé des contacts au sein de la Sonatrach. Il n’empêche que je suis considéré comme un opposant par le pouvoir algérien, pas seulement à cause de ce livre. Je m’exprime sur les dérives du secteur dans la presse française et sur Internet. »
Comment la corruption dans le secteur, redoutablement efficace, s’est mise en place ?
H. M. : « Les dictatures successives ont opéré chacune à leur façon. Houari Boumediene (président d’Algérie de 1965 à 1978, ndlr) s’est certes servi de la Sonatrach comme vitrine du régime, mais il a relativement bien utilisé les ressources pétrolières, contrairement à ses successeurs Chadli Bendjedid et Abdelaziz Bouteflika. Ceux-ci ont considéré le pétrole comme leur « chose », dont ils pouvaient disposer à leur guise pour s’enrichir, renforcer leur assise à l’intérieur et à l’extérieur. Avec l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika, ce phénomène d’accaparement des ressources s’est amplifié. Aujourd’hui, le régime repose sur la corruption, qui s’étend de la présidence aux petits employés. »
Pourquoi le système de la corruption pétrolière s’est-il « perfectionné » à l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika ?
H. M. : « L’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika, en 1999, a été orchestrée par les généraux janviéristes, auteurs du coup d’état de 1992. Ils sont allés chercher un futur président susceptible de répondre au mieux à leurs besoins – Abdelaziz Bouteflika avait refusé le poste une première fois, en 1994, pensant pouvoir imposer ses conditions aux généraux. Il connaissait donc parfaitement le système, notamment grâce aux fonctions ministérielles exercées dans les décennies précédentes. Depuis, il ferme les yeux sur toutes les dérives, dont il tire lui-même avantage. »
Votre livre revient sur les relations algéro-américaines. Comment évoluent-elles depuis l’élection de Barack Obama ?
H.M. : « Elles se sont relâchées. C’est d’ailleurs en partie pour cela que Chakib Khelil, ancien ministre algérien de l’Energie, a récemment été évincé. En raison de sa totale aliénation à l’administration de George W. Bush, il mettait en œuvre la stratégie pétrolière de des pétroliers texans en Algérie. Les conseillers de Barack Obama n’ont pas la même approche du secteur pétrolier et l’impact, pour l’heure, se ressent à l’intérieur du régime algérien, avec une recrudescence des règlements de compte. »
Pensez-vous que la jeunesse algérienne, à qui vous vous adressez en priorité, entendra votre message ?
H.M. : « Je suis convaincu que le livre arrivera jusqu’à eux. Pas par la presse algérienne, qui n’est pas libre, mais par d’autres moyens, notamment les liens avec les Algériens de France. »
Histoire secrète du pétrole algérien, de Hocine Malti, Éditions La Découverte (septembre 2010), 300 pages, 22 €.