Va-t’on vers une crise du monde du travail ?

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Photo : D.R.
Quelques éléments d’une enquête régulièrement menée depuis plusieurs années pour mieux comprendre le monde de l’entreprise et son évolution.

Le travail d’analyse que nous faisons chez Sociovision (www.sociovision.com) pour aider les dirigeants est fondé sur une grande enquête annuelle de l’évolution de la société française, enquête menée depuis 1975. Nous observons donc le très long terme. D’autre part, nous ne regardons pas le salarié d’une entreprise comme simplement un salarié, mais aussi comme un citoyen, un consommateur, un père de famille, un membre d’association, etc. C’est très important pour explorer la valeur du travail.
Depuis vingt ou trente ans, un certain nombre d’indicateurs sont étonnamment positifs. Si vous demandez aux salariés s’ils sont globalement satisfaits de leur travail, en 1980, 60 % d’entre eux répondaient oui ; il y a 10 ans, ils étaient 70 % ; en 2010, ils sont 80 %. Si on leur demande s’ils sont fiers d’appartenir à leur entreprise, les trois quarts des Français répondent affirmativement. Enfin, 85 % d’entre eux estiment aussi que leur travail leur donne confiance en eux, avec un gain de 10 points acquis en trois ans, c’est-à-dire en pleine période de crise. Tout cela est quand même assez extraordinaire.
On ne constate pas dans le tissu social de rupture entre les salariés et leurs dirigeants sur la manière dont les entreprises sont dirigées. Notons que l’enquête évoque « leur » entreprise et non pas l’entreprise en général : en France, si l’institution entreprise est haïe, on aime celle dans laquelle on travaille.
Il faut, bien sûr, tempérer. Il y a des aspirations très fortes de la part des salariés sur le management de proximité et aussi des germes de conflictualité préoccupants. Depuis cette année, en effet, notre enquête révèle qu’une majorité de salariés se dit prête à la grève en cas de désaccord avec la direction. Autre élément préoccupant, l’angoisse de se faire « trop absorber » par le travail. En 2007, seulement un quart des Français déclarait noter des répercussions du travail sur leur santé et leurs relations sociales ; ils sont aujourd’hui plus du tiers.
S’agissant des grandes entreprises, on relève quelques paradoxes. Premier paradoxe : les grandes entreprises qui, en principe, peuvent offrir le plus de perspective d’évolution, de rebond et de mobilité de carrière, ne contribuent pas en fait à réaliser cet objectif. La permanence d’un management vertical un peu archaïque, doublé d’organisations matricielles incompréhensibles, donne des processus de décisions ralenties extrêmement frustrants. Notons aussi le phénomène du surinvestissement, par certaines entreprises, sur les personnels de haut potentiel, quand elles s’aperçoivent plus tard avoir négligé des gens dignes d’intérêt. à l’inverse, on peut trouver des jeunes gens peu aguerris à des postes extrêmement exposés.
Deux populations méritent des analyses spécifiques : les femmes et les jeunes. À la question : vous sentez-vous gagnante ou perdante relativement à ce que vous recevez de l’entreprise et ce que vous donnez ? Les femmes cadres sont totalement négatives par rapport à la moyenne. Quant aux jeunes, ils sont tiraillés par des demandes contradictoires. À cause de leur jeunesse et des technologies de l’information qui les ont rendus extrêmement impatients, ils ont une exigence d’instantanéité et de rapidité pour leur carrière, mais du fait des difficultés à trouver du travail, ils ont tendance à se réfugier dans les très grandes entreprises, estimant les postes plus sûrs, et se retrouvent alors dans une situation de frustration garantie. Autre problème chez les jeunes : leur quête de sens. Au fond, les salariés sont des gens comme les autres, ils sont tous embarqués — nous sommes tous embarqués ! — dans les mêmes tendances sociologiques, tendances qui affectent l’entreprise. Autre paradoxe de notre société, le rapport au temps, contrarié entre une accélération croissante et la quête d’un temps plus lent pour vivre mieux .
Quant aux valeurs qui montent dans les sociétés et parmi les salariés, citons l’équité et la transparence. Enfin, à la question de savoir ce qui manque le plus dans ce pays actuellement, les Français interrogés ont répondu : une vision d’avenir ! La vie dans l’entreprise n’est pas très différente de la vie dans la société.

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