Perrin Beatty, président de la Chambre de commerce du Canada vante le libre-échange

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Alors que le pays commence à entrevoir la reprise, la Chambre de commerce du Canada plaide pour une levée des barrières protectionnistes avec son voisin américain et se réjouit des négociations en cours avec l’Europe.

Perrin Beatty, 59 ans, est président de la Chambre de commerce du Canada depuis août 2007. Originaire de l’Ontario, il est élu en tant que progressiste-conservateur (Progressive Conservative) à la Chambre des communes du Canada en 1972, à l’âge de 22 ans. Nommé ministre d’État en 1979, il gère six portefeuilles ministériels de 1984 à 1993. Nommé à la tête de Canadian Broadcasting Corporation (CBC) en 1995, il prend ensuite la direction de Manufacturiers & Exportateurs du Canada, l’une des plus importantes associations industrielles et commerciales canadiennes. Il occupe ce poste jusqu’en 2007.

 

Commerce International : Comment fonctionne la Chambre de commerce du Canada ?

 

Perrin Beatty : « Elle se présente comme le porte-parole des entreprises canadiennes. Association de gens d’affaires, elle assure la liaison entre les entreprises et le gouvernement fédéral. Elle contribue à l’élaboration des politiques au niveau national et international et vise à influencer les processus décisionnels. Elle dispose pour cela d’un budget de 6 millions de dollars canadiens (soit 3,8 millions d’euros). La Chambre rassemble quelque 320 Chambres locales qui, au niveau municipal, provincial et territorial, apportent leur contribution en faisant remonter des propositions et en expliquant nos prises de position à la population. Ce réseau offre également une palette de services qui visent à faciliter l’activité commerciale de ses adhérents. Au total, nous représentons 175 000 entreprises de toutes tailles, actives dans tous les secteurs d’activité et régions du pays. »

 

Le congrès annuel de la Chambre du Canada s’est tenu en octobre à Victoria, en Colombie britannique. Quelles sont vos préoccupations prioritaires ?

 

P. B. : « Nous avons en permanence dans nos tablettes quelque cent cinquante résolutions qui nous paraissent importantes. Et toutes tournent autour d’une seule et même priorité : la compétitivité des entreprises canadiennes. Celle-ci passe par des mesures à court et à long terme. À cet égard, les mesures prises en janvier dernier par le gouvernement pour faire face à la crise nous semblent aller dans le bon sens. Le gouvernement a fait le choix de la relance, en injectant de l’argent dans une série de programmes comprenant des investissements dans les infrastructures. Nous soutenons ce choix. »

 

Les États-Unis étant le premier partenaire commercial du Canada, comment la crise a-t-elle affecté l’économie du pays ?

 

P. B. : « Le taux de chômage atteint 8 % à l’échelle nationale. Certains secteurs, industriel et automobile notamment, ont été particulièrement touchés. Mais pas un déposant canadien n’a perdu un dollar dans la crise financière, et pas un dollar d’argent public n’a servi à sauver les banques. Au contraire, le système bancaire canadien est apparu comparativement solide. »

 

Le Premier ministre, Stephen Harper, a déclaré lors d’un événement coorganisé par la Chambre fin octobre que le Canada entrait dans une période de convalescence économique. Partagez-vous ce point de vue ?

 

P. B. : « Oui. La crise est survenue hors de nos frontières. Nous y sommes entrés un peu plus tard que la majorité des pays. Et nous avons la chance de commencer à voir le bout du tunnel. L’élaboration du plan de relance que je viens d’évoquer a été un élément déterminant pour restaurer la confiance des investisseurs et des consommateurs. Les excédents budgétaires enregistrés depuis plus d’une décennie ont donné au gouvernement une plus grande latitude fiscale pour faire face à la crise. Résultat : le budget est en déficit significatif cette année, et le sera encore sans doute pendant quelques années. Mais notre ratio d’endettement par rapport au PIB reste raisonnable. »

 

En réponse à la clause restrictive « Achetez américain » (Buy American), adoptée dans le cadre du plan de relance du président Barack Obama, la Fédération des municipalités canadiennes a adopté en juin dernier une résolution visant à empêcher les entreprises américaines d’obtenir des contrats avec elles. Où en est ce débat ?

 

P. B. : « Des négociations sont en cours en vue de faire bénéficier le Canada d’une exception à cette clause. Mais plus qu’une exception, nous voulons un accord de réciprocité entre nos deux pays en matière d’achat public. “Que le meilleur gagne !”: voilà notre point de vue. Bien que les négociations progressent lentement, nous ne sommes pas favorables à des mesures de rétorsion, car nous sommes opposés à toute forme de protectionnisme. En provoquant des réactions protectionnistes en chaîne, la loi Smoot-Howley n’a fait qu’aggraver la crise économique en 1930. »

 

Que préconisez-vous ?

 

P. B. : « Le maire de North Bay, en Ontario, a fait l’acquisition de cinq camions de pompiers auprès d’une entreprise américaine. Puis il a écrit à son homologue de la ville où l’entreprise était implantée. Il lui a fait valoir que cette acquisition créait des emplois sur son territoire et l’a encouragé à prôner la réduction des barrières protectionnistes auprès du Congrès américain. Cela nous paraît une bonne approche. Dans le même esprit, je m’apprête à aller à Washington afin de plaider auprès de la Chambre de commerce des États-Unis pour une meilleure circulation des produits et des personnes qui traversent légalement la frontière entre nos deux pays. Les taxes, inspections et autres régulations mises en place pour des raisons de sécurité annulent les gains obtenus grâce à l’Accord de libre-échange nord-américain (Aléna). Exemple dans l’automobile, où nos industries sont très intégrées : chaque échange de pièces fait augmenter le coût de fabrication des voitures. De sorte qu’il est moins cher d’importer des voitures par cargo en provenance d’Asie. »

 

La Chambre de commerce américaine a dépensé plusieurs millions de dollars dans des activités de lobbying contre des mesures visant à lutter contre le changement climatique. Une position qui a poussé certains de ses membres à se retirer. Quel regard portez-vous sur cet épisode ?

 

P. B. : « Chaque Chambre est libre de ses choix. Et il me semble que la Chambre américaine est moins opposée au principe d’une loi sur le changement climatique qu’à certaines dispositions prévues dans cette loi. Cela dit, nous pensons que le Canada a la chance de bénéficier d’une grande richesse de ressources énergétiques. Ces ressources doivent être mises sur le marché dans le respect des règles de développement durable. Nous devons trouver les modalités qui permettent d’exploiter ce potentiel énorme dont nous bénéficions, tout en appliquant les meilleures pratiques sur le plan environnemental. La Chambre de commerce du Canada vient à cet égard d’appeler les producteurs, les utilisateurs et les pouvoirs publics au développement d’une stratégie énergétique durable pour le pays. Car les entreprises, qui réalisent parfois des millions de dollars d’investissement, ont besoin de savoir quelles seront les politiques menées et les règles appliquées. »

 

Qu’attendez-vous d’un partenariat économique plus étroit entre le Canada et l’Union européenne, actuellement en négociation ?

 

P. B. : « Nous n’en sommes encore qu’au début des discussions, mais nous espérons d’importantes avancées l’année prochaine. En stimulant les échanges avec l’Union européenne, notre deuxième partenaire commercial en importance, ce partenariat va créer des emplois et contribuer à la prospérité économique du pays. À un moment où la tentation protectionniste est grande, il constitue par ailleurs un message pour le reste du monde. »

 

Comment jugez-vous la politique canadienne en matière d’immigration ?

 

P. B. : « La politique candienne nous semble bonne. À l’exception des populations autochtones (Indiens, métis et Inuits, ndlr), tous les Canadiens sont issus de l’immigration. Ma famille est ainsi venue au Canada dans l’espoir de connaître une vie meilleure. Les migrants aujourd’hui veulent aussi vivre dans une société libre où ils pourront bénéficier d’opportunités. En quittant leur pays pour venir s’installer ici, les immigrés prennent un risque. Ils ont par nature un esprit entrepreneur. Nous avons intérêt à attirer les meilleurs pour contribuer à notre prospérité. J’ajoute que le taux de natalité des Canadiens est bas. Par conséquent, la croissance nette de la population active dans les années à venir sera directement liée à l’immigration. »

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