Par Jean-Baptiste VEGA, Expert-comptable, membre du réseau Viseeon.
L’article 50 de la loi de finances pour 20191 prévoit un droit de révocation de l’option à l’impôt sur les sociétés (IS) pour les sociétés de personnes.
La renonciation à l’option sera possible jusqu’avant la fin du mois précédant la date limite de versement du premier acompte d’IS du cinquième exercice suivant celui au titre duquel l’option a été exercée. Au-delà, l’option sera irrévocable dans tous les cas. Pas si sûr !
Si une SCI constituée dans le but de détenir le patrimoine immobilier familial ou d’une entreprise a opté à l’IS, les conséquences d’une cession ultérieure des actifs immobiliers seront désastreuses. Il n’existe pas de solution universelle applicable à tout contribuable. En tout cas, l’option à l’IS est loin d’être la panacée prescrite par certains.
I. Le caractère irrévocable de l’option à l’impôt sur les sociétés
1. L’application stricte de l’article 239 du CGI
« Choisir, c’est renoncer ! ». Cette affirmation d’André Gide a nourri nombre de débats et réflexions dans bien des domaines. Elle suppose que tout choix implique une part de renoncement et un jugement de valeur entre ce qui est bénéfique et nécessaire. Du moins en apparence, car nous avons tous éprouvé certains de nos choix comme n’étant pas les plus judicieux.
Or, aujourd’hui, nous ne dénombrons plus les SCI ayant opté à l’IS sous les conseils « avisés » de certains, ou par manque de diligences d’autres.
L’article 206 du CGI offre à toutes les sociétés visées à l’article 8 du même code, la possibilité d’opter à l’impôt sur les sociétés pour l’imposition de leurs résultats. Si l’option est possible, est-elle pour autant souhaitable ?
L’assujettissement à l’IS durant la détention de biens immobiliers présente des avantages certains, mais la cession ultérieure desdits biens aura de lourdes conséquences en termes d’imposition des plus-values. Sans revenir sur les inconvénients d’une telle option, il est nécessaire de mettre en exergue l’assiette croissante des plus-values à l’IS.
Cette dernière se constitue par la différence entre le prix de vente et la valeur nette comptable. Les plus-values imposables ne cessent donc de croître compte tenu de l’amortissement régulier des actifs. De plus, si l’option prive les associés de la SCI de l’opportunité, en cas de revente, du régime d’imposition des plus-values immobilières, elle soumet la cession des parts sociales à celui des plus-values sur valeurs mobilières et droits sociaux.
Alors qu’il était possible, avant 2004, d’exonérer les plus-values de cession des titres de sociétés à prépondérance immobilière ayant opté à l’IS après une détention de 15 ans – délai porté aujourd’hui à 22 ans- aucune exonération totale n’est désormais envisageable. D’autre part, la cession de titres d’une SCI soumise à l’IS risque de se heurter à l’absence d’acquéreur en raison de la fiscalité latente lors de la sortie de l’immobilier. Les plus-values se trouvent ainsi piégées dans la société.
Fréquemment, les SCI que nous rencontrons sont constituées entre membres de la même famille. Pourquoi dès lors se placer dans le carcan d’une option à l’IS ?
L’article 239 du CGI est sans équivoque : l’option au régime des sociétés de capitaux est irrévocable en l’absence de renonciation avant la fin du mois précédant la date limite de versement du premier acompte d’IS du cinquième exercice suivant celui au titre duquel l’option a été exercée. À moins que l’option n’ait été exercée avant le 1er janvier 1981 par une société de personnes formée entre parents en ligne directe ou entre frères et sœurs, ainsi que les conjoints. Cette exception est prévue par l’article 239, 3 du CGI, qui est issu de l’article 52 de la loi 80-1094 du 30 décembre 1980. Qui trouve encore de telle SCI dans cette situation « dérogatoire » ?
Enfin, pour être complet et prudent, soulignons que l’article 22 de l’annexe IV du CGI n’a pas été modifié par la loi de finances pour 2019 et prévoit toujours l’irrévocabilité de l’option à l’IS à moins qu’elle n’ait été exercée avant le 1er janvier 1981 par une société de personnes constituée entre membres de la même famille.
2. Une option attachée à la personnalité morale de la société
L’irrévocabilité de l’option à l’IS reste attachée à la personnalité morale de la société, et non à la qualité de ses associés.
Lorsqu’une société mentionnée au 3 de l’article 206 du CGI a régulièrement opté -sur le fondement de l’article 239 du même code- pour le régime des sociétés de capitaux, l’option demeure aussi longtemps que cette société ne prend pas fin, soit pour l’une des causes énoncées à l’article 1844-7 du Code civil, soit en faisant place à une personne morale constituée sous une forme autre que celle d’une société.
Prenons le cas d’une société en commandite simple (SCS) qui, après avoir opté pour son assujettissement à l’IS, se transforme en SNC. L’option exercée antérieurement à sa transformation reste irrévocable et lie la société sous sa nouvelle forme. Il en est de même lorsqu’une EURL, ayant opté au régime des sociétés de capitaux, devient une SARL suite à l’entrée d’un nouvel associé. Cette dernière est soumise de plein droit à l’IS quel que soit son objet.
Si la réunion de toutes les parts entre les mains d’un seul associé devait s’opérer, la SARL redeviendrait une EURL soumise à l’IS. L’option exercée par l’EURL, devenue une SARL puis à nouveau une EURL, reste opposable à cette dernière.
Il est donc impossible de raisonner par analogie avec la situation d’une SARL soumise de plein droit à l’IS et dont la réunion des parts entre les mains d’une seule personne entraine, à défaut d’option pour le régime des sociétés de capitaux, son passage à celui des sociétés de personnes. La société n’a pas exercé d’option dont l’irrévocabilité puisse lui être opposée.
3. Une autre forme de détention de l’immobilier : la SARL de famille
Pourtant, qu’il s’agisse de la détention d’un patrimoine professionnel ou privé, les moyens d’optimiser la fiscalité des associés sont reconnus par la jurisprudence et le législateur. Nous pensons, bien évidemment, à la cession de l’usufruit temporaire des parts de la SCI au profit d’une société d’exploitation, car cette technique permet de jouir des vertus de l’article 238 bis K du CGI.
Nous évoquerons, plus précisément, la possibilité de constituer une SARL de famille.
Il s’agit d’une option au régime des sociétés de personnes8 et non d’une société à statut particulier. L’activité, comme pour une SARL classique, doit être de nature commerciale, industrielle, artisanale ou agricole. L’objet social ne peut donc se limiter à une activité de gestion du patrimoine familial, ni concerner une activité libérale.
Le capital social doit être intégralement détenu soit par des parents en ligne directe, soit par des frères et sœurs, soit par des conjoints (ou concubins pacsés), ou simultanément par des membres de l’un et l’autre de ces groupes. En principe, une société peut être assujettie soit à l’IS (SARL, SAS), soit à l’IR (SNC). Dans le premier cas, la responsabilité des associés est limitée aux apports mais les éventuelles pertes ne sont pas imputables sur leur revenu global. Dans le second cas, les pertes sont déductibles mais les associés ont une responsabilité illimitée et solidaire.
La SARL de famille permet de combiner les deux avantages sans en avoir les inconvénients. Tout en étant à responsabilité limitée, cette société pourra opter pour le régime des sociétés de personnes en application de l’article 239 bis AA du CGI. Les résultats seront imposés directement entre les mains des associés.
II. Une option si irréversible ?
1. Une disposition de l’administration fiscale en faveur des sociétés familiales
L’article 239 bis AA du CGI autorise les entreprises familiales exploitées sous la forme de SARL, à sortir du champ d’application de l’IS au moyen de l’option au régime des sociétés de personnes. Les modalités d’application de ce dispositif sont définies aux articles 46 terdecies et suivants de l’annexe III du CGI. L’option ne peut être exercée qu’avec l’accord de tous les associés et cesse de produire ses effets dès l’entrée dans la société d’un associé non parent au sens de l’article 239 bis AA du CGI.
Dans son BOI-IS-CHAMP-20-20-10 n°40 du 4 juillet 2018, l’administration fiscale admet que l’application du 239 bis AA est possible pour les sociétés constituées sous la forme de SARL, ou pour les SARL issues de la transformation d’une société d’un autre type, indifféremment de son régime fiscal -de droit commun ou optionnel- en l’occurrence.
En principe, le changement total ou partiel de régime fiscal, opéré par une société, emporte conséquences fiscales de la cessation d’entreprise9. Conformément à l’article 1844- 3 du Code civil, la transformation régulière d’une société en une société d’une autre forme n’entraîne pas la création d’une personne morale nouvelle. Il en est de même en cas de prorogation ou de toute autre modification statutaire. L’article 1844-7 du Code civil énumérant les causes pour lesquelles une société prend fin, ne mentionne pas celle de la cessation d’entreprise.
Par conséquent, l’article 221 bis du CGI trouvera à s’appliquer ; la SARL cessant totalement d’être soumise à l’IS suite à son option pour le régime des sociétés de personnes. L’article 221 bis permettra de reporter l’imposition des bénéfices et des plus-values latentes, à la double condition qu’aucune modification ne soit apportée aux écritures comptables et que l’imposition desdits bénéfices et plus-values demeure possible.
Néanmoins, les plus-values réalisées ultérieurement devront être calculées d’après leurs valeurs fiscales avant l’entrée dans le régime des sociétés de personnes, aux conditions prévues par les articles 39 duodecies à 39 quindecies si, au moment de la cession, les recettes de la société n’excèdent pas les limites prévues à l’article 151 septies du CGI. Dans le cas contraire, les dispositions de l’article 151 septies ne seront pas applicables.
Si il peut restreindre l’application du 151 septies, l’article 221 bis ne fait aucune mention des 151 septies A11 et 151 septies B12, ni même du 238 quindecies. « Qui tacet consentire videtur », pour reprendre une célèbre maxime. Nous pouvons ainsi convenir que ces derniers resteront de mise et produiront leurs effets malgré l’option initiale à l’IS. Tout l’art sera d’associer, dans la mesure du possible, ces différents dispositifs pour obtenir la charge fiscale et sociale la plus optimale.
Quid de l’activité de la SARL de famille ? Nous l’évoquions plus haut, l’objet social ne saurait se cantonner à une activité de gestion du patrimoine familial. Ce point non négligeable est mentionné aux articles 46 terdecies A et 239 bis AA du CGI. L’activité de la SARL de famille pourra être qualifiée de commerciale, notamment, dans le cas d’une activité de location meublée ou de location de locaux équipés, également appelée location aménagée.
2. La légitimité de ce choix juridique face à l’abus de droit
Par ailleurs, en matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), si la SARL de famille n’est pas une société immobilière au sens classique du terme, elle n’en demeure pas moins une société à prépondérance immobilière, puisque son actif est composé pour plus de 50% d’immeubles non affectés à sa propre exploitation. Les parts sociales d’une SARL de famille doivent donc avoir le caractère de biens professionnels au même titre que celles d’une SCI pour être exonérées d’IFI. Sans oublier que lesdites parts pourront bénéficier des dispositions d’un pacte Dutreil.
Ainsi, la révocabilité -du moins l’atténuation du caractère irréversible- de l’option à l’IS chez les sociétés de personnes constituées entre membres de la même famille, peut être atteinte. Le schéma à suivre sera le suivant : transformation de l’entité ayant opté à l’IS en une SARL puis, option au régime des sociétés de personnes.
S’il est vrai que les associés se sont placés dans une situation leur permettant de bénéficier du régime des sociétés de personnes, du fait de la transformation en SARL, le but exclusivement fiscal peut encore être écarté. La recherche de sécurité via la responsabilité limitée des associés et les modalités de transmissions en présence d’enfants mineurs, par exemple, pourraient être autant d’arguments.
Le recours au régime des sociétés de personnes prévu à l’article 8 du CGI n’est pas contraire à l’intention de ses auteurs qui était en 192316 de permettre la prise en compte des charges de famille par des sociétés de personnes composées de personnes physiques.
Le droit d’opter au régime des sociétés de personnes est un « droit accordé par la loi fiscale au contribuable dans une situation juridique déterminée au regard de l’impôt, d’exercer librement un choix qui l’engage et s’impose à l’administration ».
Dès lors, si vous avez opté pour l’impôt sur les sociétés depuis plus de cinq ans pour votre SCI, dont les associés sont de la même famille, il est toujours possible de s’extraire de ce piège fiscal ! « La chute n’est pas un échec. L’échec c’est de rester là où on est tombé ». D’une situation inextricable, telle que l’option à l’IS, peut émerger une Bérézina.
Jean-Baptiste VEGA Expert-comptable Membre du réseau Viseeon