CCI News.com: La décision de la Cour d’appel de Paris1, en mai 2011, vous avait-elle surpris?
Sylvain Niel: “C’est le raisonnement suivi par le juge de la cour d’appel qui m’a surpris. Il s’appuie sur une disposition du Code du travail selon laquelle, lorsque les mesures de sauvegarde de l’emploi sont insuffisantes, le plan est nul. Or d’après la jurisprudence, si le plan est nul, tous les actes subséquents le sont aussi. Par ailleurs, la justice a été saisie en pleine procédure de consultation sur le raisonnement suivant: à partir du moment où il n’y a pas de motif économique, le plan de reclassement encourt la nullité, ainsi que tous les actes de procédure – y compris la consultation du comité d’entreprise et, si cela avait été le cas, la notification des licenciements. En qualité de juriste, cela me choque, car il n’y a pas de nullité sans texte: le juge a prononcé la nullité suite à un raisonnement qui tient davantage d’une galipette juridique que d’une réflexion en droit. Mais l’affaire n’est pas inédite. Depuis quelque temps, on voyait poindre des cas qui remettaient clairement en cause des projets de licenciement économiques stoppés d’emblée au niveau de la procédure: le groupe Total a ainsi été condamné à rouvrir l’une de ses raffineries (à Dunkerque en 2010, ndlr); Carrefour a été empêché de fermer une plateforme d’approvisionnement employant 200 personnes dans le sud de la France.”
Que révèlent, selon vous, ces affaires en cascade?
S.N.: “Cela soulève plusieurs interrogations, auxquelles devrait répondre le législateur. Tout d’abord, qu’est ce qu’un groupe? En droit social, il s’agit d’une société mère qui a le pouvoir d’ordonner des licenciements à ses filiales. Ce n’est pas, actuellement, le périmètre retenu par la cour de Cassation: les filiales peuvent être parfaitement autonomes des décisions de la maison mère. Il faut redéfinir cette notion de groupe à l’occasion des restructurations. L’un des éléments de la réflexion serait de considérer le groupe à travers le pouvoir de décision de l’actionnaire.”
Plus généralement, quelles sont les carences juridiques liées au licenciement économique2 ?
S.N.: “Dans la définition actuelle du motif économique, il y a des pans de la réorganisation de l’entreprise qui ne sont pas intégrés. Le législateur doit donc revoir cette définition, donner plus de sens au consensus trouvé entre partenaires sociaux, lorsqu’une restructuration est envisagée. Aujourd’hui, qu’il y ait un accord collectif ou que la décision soit unilatérale, la sanction du juge est la même! Les entreprises qui se morcellent en petites sociétés de moins de 10 salariés pour pouvoir licencier dans chacune, ou qui déménagent les machines entre Noël et le Jour de l’an pour mettre le personnel devant le fait accompli, sont sanctionnées comme celles dont la démarche n’était pas fraudeuse. Au sein du Cercle des DRH (directeurs des ressources humaines, ndlr), nous sommes favorables à une reconnaissance législative des dommages et intérêts qui prennent en compte non seulement le préjudice de perte d’emploi, mais aussi l’aspect punitif et dissuasif, c’est-à-dire qui condamnent financièrement les pratiques insupportables.”
La Cour de cassation peut-elle casser l’arrêt de la Cour d’appel?
S.N.: “La cour ne peut que le casser. Il n’existe pas d’éléments légaux lui permettant de confirmer le raisonnement des juges. Elle peut le casser en rappelant l’absence de référence à la loi et en livrant une sorte de leçon vertueuse sur la nécessité de combler le manque juridique. Ces affaires qui se multiplient mettent justement en exergue cette insuffisance, et permettront peut-être que l’on fasse une distinction entre ceux qui se trompent et ceux qui profitent de la loi.”
Notes:
1Le 12 mai 2011, la Cour d’appel de Paris, saisie par le comité d’entreprise de Viveo, a annulé le plan social dès son élaboration.
2À l’heure actuelle, la loi reconnaît la nullité d’un licenciement économique uniquement lorsque les mesures de reclassement prévues dans le Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) apparaissent, aux yeux du juge civil, comme insuffisantes.