Le réseau des Chambres de commerce africaines et francophones se professionnalise

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Créée en 1973 par les présidents Pompidou (France), Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire) et Senghor (Sénégal), la Conférence permanente des chambres consulaires africaines et francophones (CPCCAF) demeure méconnue du monde des affaires, tant sur le continent africain que dans l’Hexagone. Elle compte pourtant 568 organisations intermédiaires (1), présentes dans une trentaine de pays, et 200 projets à son actif (pour un montant total de 7,5 millions d’euros, dont 3 millions de subventions). Plutôt discret depuis sa création, le réseau s’attache désormais à communiquer sur ses actions et sa délégation permanente resserre les liens entre membres et partenaires, parmi lesquels l’Agence française de développement (AFD). « Africa-Europa (convention d’affaires euro-africaine organisée par les CCI du Havre et de Rouen en avril dernier, ndlr) a accueilli 206 entrepreneurs européens et 175 entrepreneurs africains, dont 94 % se sont déclarés satisfaits des rencontres organisées. Ce succès est en grande partie dû à la mobilisation de la CPCCAF », a déclaré Vianney de Chalus, président de la CCI du Havre, lors d’un colloque organisé au Palais-Bourbon par le réseau, au mois de juillet. « Il y a encore cinq ans, je ne pense pas qu’elle aurait assuré une telle promotion et procédé à une sélection aussi qualitative des entreprises. Son action se professionnalise », se félicite celui qui est aussi président de la Commission internationale des CCI françaises.

 

Pour Omar Derraji, président de la CPCCAF et de la CCI Rabat-Salé, les 37 années d’existence ont tout de même permis d’aboutir au « plus vaste des réseaux intermédiaires en Afrique. Il faut poursuivre sur cette lancée afin de diffuser une francophonie économique. La CPCCAF est un outil merveilleux qui ne s’use que si l’on ne s’en sert pas ». Outre le colloque parisien, auquel ont assisté une centaine de cadres, directeurs généraux et présidents de chambres africaines, la CPCCAF a organisé du 29 juin au 7 juillet les Universités de la coopération consulaire. Objectif : former les responsables consulaires aux services d’accompagnement des entreprises afin de contribuer au développement du secteur privé dans les pays concernés et réduire la part des activités informelles, qui représente actuellement 90 % du tissu économique africain. Les cours ont eu lieu sur le campus francilien d’HEC (école de commerce de la CCI de Paris).

 

Bonne opération pour HEC
Sur huit journées, 150 cadres ont pu se former sur des questions propres aux réseaux intermédiaires : création d’un centre de formalité des entreprises, accueil des délégations étrangères, développement des bases de l’intelligence stratégique ou encore gestion de projet. La plupart des stagiaires ont choisi deux séminaires parmi les 13 proposés. « J’ai suivi la formation de secrétaires généraux – directeurs généraux et celle, plus générale, de management d’une organisation intermédiaire », explique Philippe Broohm Djahlin, directeur de la CCI du Togo, qui compte 15 000 ressortissants. « Nous souhaitons développer la formation au Togo, en particulier dans le domaine de la gestion d’entreprise. Notre partenariat avec HEC, dans le cadre de son programme Executive Education, est amené à se développer pour toutes les missions de la Chambre. Nous voulons aussi faire évoluer nos activités vers la gestion d’équipements (pour l’heure, la CCI ne gère intégralement qu’une gare routière à Lomé, ndlr) et créer des partenariats avec des CCI étrangères… » Les Universités de la coopération consulaire permettent à HEC de consolider des liens existants avec les organisations intermédiaires, les entreprises, mais aussi les administrations africaines. Car la CCI du Togo n’est pas la seule à vouloir développer ses formations avec l’aide de l’école de la CCIP. Jean-Louis Billon, président de la CCI de Côte d’Ivoire, indique « vouloir mettre en place une formation certifiante pour les entreprises artisanales », puis « ouvrir des écoles ».

 

Les visas de la discorde
Ces huit journées de formation ont été dispensées à moindre coût pour les chambres de commerce bénéficiaires (forfait de 300 euros par stagiaire). L’AFD et la CPCCAF ont en effet participé aux frais de transport (jusqu’à 1 000 euros par billet) et financé les hébergements et l’ensemble des formations HEC. Le projet a coûté 550 000 euros, dont 200 000 euros provenant de l’AFD et 190 000 euros du CDE (2). « Sept chambres sénégalaises ont fait le déplacement », indique Moussa Ndiaye, secrétaire général de la Chambre de Saint-Louis, qui a notamment suivi la « Formation des responsables de formation des CCA » (chambres de commerce africaines). « J’ai pu renforcer mon panel d’outils pédagogiques pour former nos élus et nos membres sur leurs missions. » Si tous les stagiaires interrogés se disent satisfaits d’un point de vue pédagogique, le discours est nettement moins élogieux sur l’organisation.

 

En cause : l’éternel problème des visas (3). Lors du colloque au Palais-Bourbon, le président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique, Anthony Bouthelier, a bien tenté de faire valoir un accord signé avec le ministère français de l’Immigration, assurant qu’il n’y avait « pas de problème de visa pour les hommes d’affaires en France à condition de respecter un délai incompressible d’un mois ». Mais il n’a récolté qu’une salve de protestations. Pour Didier Mavouenzela, président de la Chambre de commerce de Pointe-Noire (Congo), « l’Afrique continue de représenter un réel marché pour les PME françaises. Mais certains services intermédiaires africains, notamment consulaires, ne parviennent pas à obtenir de visas pour la France. On veut que le capital soit libre, mais on ne veut pas que les hommes, eux, circulent librement », a-t-il regretté. « Comment voulez-vous qu’un long séjour de travail soit finalisé plus d’un mois à l’avance ? », s’interroge avec agacement Sandra Bonin, responsable communication de la Chambre de commerce du Gabon. « Il y a toujours des changements de dernière minute sur les dates, le nombre de participants… C’est un vrai problème qui a suscité beaucoup de crispations avant le départ. »

 

La relation franco-africaine a encore de beaux jours devant elle
Outre le bilan des séminaires, la rencontre parisienne avait pour but « de faire le point avec les pouvoirs publics sur la politique française en matière de coopération économique et sa politique en faveur du développement des exportations vers l’Afrique ». Les débats n’ont fait que confirmer l’absence d’une nouvelle forme de relations économiques entre la France et l’Afrique francophone, et ce malgré la concurrence des entreprises chinoises, indiennes et iraniennes (lire l’interview de Claude Koudou). Il faut dire que ces nouveaux acteurs inquiètent peu, en France comme du côté des intervenants africains. « Je ne perçois pas la présence chinoise au Congo comme un investissement dans la durée », affirme par exemple Didier Mavouenzela. « Dans l’inconscient africain, les gens savent bien qu’il faut travailler avec la France et l’Europe en raison de l’histoire commune et de la proximité géographique. »

 

Une opinion partagée par Jean-Louis Billon et Pierre Simon, président de la CCIP, réunis pour une rencontre avec la presse en marge des universités consulaires. « Cela fait des années que je dis aux entreprises de ne pas viser que les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine, ndlr) », martèle Pierre Simon. « La CPCCAF est la seule organisation structurée capable de mettre en œuvre des actions opérationnelles de coopération économique entre l’Europe et l’Afrique francophone. Elle pourrait devenir le partenaire le plus actif de la Commission européenne dans ce domaine (4) », plaide le président de la CCIP. « Au Burkina Faso, par exemple, la Chambre de commerce dispose du fichier le plus complet sur le tissu économique du pays. Or, ce produit a été mis en place par la CCI de Toulouse, dans le cadre du réseau CPCCAF. » Selon Gilles Dabezies, directeur des actions et de la coopération internationales de la CCIP, l’édition 2011 des Universités de la coopération consulaire devrait justement se tenir à Ouagadougou.

 

(1) 175 chambres françaises (Commerce et industrie, Métiers et artisanat, Agriculture) ; 16 CCI en Belgique ; une CCI au Canada ; 117 chambres africaines (Commerce et industrie, Métiers et artisanat, Agriculture) ; une chambre haïtienne ; Union des CCI de l’océan Indien ; CEMAC et UEMOA.
(2) Le CDE est une institution conjointe du groupe des États ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et de l’Union européenne.
(3) Pour plus d’informations, lire l’enquête de l’association Cimade, intitulée Visa refusé, sur les conditions de délivrance des visas pour la France. Disponible gratuitement sur www.cimade.org.
(4) Après le Palais-Bourbon, la centaine de participants s’est rendue à un colloque au Parlement européen, à l’invitation de la Fédération des CCI de Belgique et de la CCI de Bruxelles.

 

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