Née le 27 août 1942, Perrette Rey préside le tribunal de commerce de Paris depuis 2004. En tant que présidente de la Conférence des juges consulaires de France, elle représente les 185 tribunaux de commerce du pays. Ancienne chef d’entreprise, elle est au service de l’état depuis plus de 15 ans.
Commerce International : La justice consulaire est perçue comme étant moins onéreuse, plus rapide et plus proche de la sensibilité des entreprises. Après la tourmente, les tribunaux commerciaux sont-ils « réhabilités » ?
Perrette Rey : Les 3 100 juges des tribunaux de commerce ont tiré la leçon des années difficiles. Entrepreneurs ou cadres dirigeants, élus et bénévoles, ils ont compris qu’il leur fallait sans cesse progresser pour répondre aux attentes des entreprises qui sont leurs justiciables. Il me semble que c’est à juste titre que le président Nicolas Sarkozy a souligné l’énergie avec laquelle les tribunaux de commerce se sont modernisés.
Compétences économique et juridique, déontologie et efficacité sont les qualités que vous exigez d’un bon juge consulaire. Comment les développer ?
P. R. : Depuis 2003, l’École nationale de la magistrature assure la formation initiale des 300 à 350 nouveaux juges qui renouvellent chaque année le corps de la justice consulaire et elle dispense à tous les juges consulaires de France des sessions de formation continue. Depuis 2005, un Conseil national des tribunaux de commerce, présidé par le Garde des Sceaux et composé pour moitié des juges consulaires, pour moitié de hauts magistrats, directeurs de la Chancellerie et personnalités qualifiées, œuvre à l’amélioration de la compétence, du professionnalisme et de la déontologie des juges consulaires en définissant par exemple de façon très concrète leurs devoirs et leurs obligations dans leur comportement et dans l’accomplissement de leur métier de juge pour éviter les conflits d’intérêt.
Comment la réforme annoncée de la carte judiciaire est-elle accueillie par les professionnels de la justice consulaire ?
P. R. : Elle leur apparaît comme la condition d’une efficacité accrue. Le droit économique est de plus en plus complexe, touffu. Un bon juge de contentieux n’est pas nécessairement un bon juge de la faillite. Seules, des juridictions d’une certaine taille permettent une spécialisation, donc une amélioration de la qualité de la décision. D’ailleurs, en 2004, la Conférence générale des tribunaux de commerce avait mis en chantier un schéma directeur de réforme de sa carte judiciaire qu’elle a finalisé en 2005 avant que le sujet ne soit d’actualité. Il repose sur une analyse précise et quantifiée de l’activité de chaque tribunal de commerce au regard des besoins des entreprises de son ressort. Il aboutit à des préconisations de regroupement de tribunaux, mais aussi de transfert des activités des chambres commerciales des tribunaux de grande instance (TGI) vers les tribunaux de commerce (1).
Justement, faut-il mettre fin à l’éclatement du contentieux économique ?
P. R. : L’éclatement du contentieux entre le TGI et tribunal de commerce me paraît enlever de la lisibilité à l’organisation judiciaire française en matière économique. Pourquoi les tribunaux de commerce réformés et modernisés n’auraient-ils pas vocation à connaître en premier ressort de tous les différends commerciaux, ainsi que de la prévention et du traitement des difficultés des entreprises ?
Quid des autres mesures annoncées : renforcement de la place du procureur auprès des tribunaux de commerce, développement de mesures préventives en matière de procédures collectives et dépénalisation partielle du droit des affaires ?
P. R. : Ces réformes vont dans le bon sens. Les tribunaux de commerce travaillent en harmonie avec les représentants du Ministère Public, dont ils apprécient l’éclairage et la compétence juridique. Adeptes des procédures préventives qu’ils ont inventées – le tribunal de commerce de Paris a créé le mandat ad hoc il y a 25 ans – ils savent que seules ces procédures sont capables de sauvegarder efficacement les entreprises. Deux sur trois qui y recourent sont durablement tirées d’affaire. Quant à la pénalisation de la vie des affaires, elle n’est pas – et de loin – la réponse la plus appropriée dans la majorité des cas. Il est souvent plus efficace de toucher au portefeuille en cas de dysfonctionnement.
Les pistes de réformes françaises ne retiennent pas l’échevinage. Qu’en pensez-vous ?
P.R. : Les pays qui le pratiquent s’y sont accoutumés. La France a mieux par les hasards de l’histoire : des juges issus de l’économie, capables de comprendre si une entreprise peut ou non être sauvée, de l’épauler pour ce faire, et qui n’ont cessé de progresser dans la maîtrise du droit à appliquer. De surcroît, ils sont bénévoles et accomplissent avec passion leur métier de service public de la justice.
Harmoniser la justice économique en Europe est-il une priorité ?
P. R. : Avant d’harmoniser, apprenons à nous connaître : comment fonctionnent nos juridictions, quelles sont nos spécificités de structure, de procédure, d’exécution. Apprenons à dialoguer entre nous et avec le monde économique. C’est d’abord au niveau des juges de terrain, à force de dialogue et de compréhension réciproque, que peut émerger un jus œconomicus européen. En prolongement de la célébration du Bicentenaire du code de commerce, nous avons entrepris de créer entre juges et représentants du Parquet français et belges, bientôt britanniques, en y associant des chefs d’entreprise de nos pays respectifs, un groupe d’échange et de mise en commun de nos ambitions pour une harmonisation du droit économique européen. L’approche est modeste et pragmatique. C’est sans doute ce qui fait son efficacité.
La Charte européenne des juges du Conseil de l’Europe contribue-t-elle à cette harmonisation ?
P. R. : La charte européenne des juges du Conseil de l’Europe est un incontestable outil d’harmonisation. N’exige-t-elle pas de tous les juges, y compris des juges consulaires, compétence, indépendance, impartialité et efficacité ?
Et le réseau européen de coopération en matière civile et commerciale (ENCC), l’European judicial training network (EJTN), sur la formation des juges, le réseau dit « de Lisbonne » sur la formation des magistrats par le Conseil de l’Europe, ou enfin plus récemment, les réseaux européens des conseils de la justice ? Ont-ils leur utilité ?
P. R. : Tous ces réseaux ignorent superbement la justice consulaire française, mais je dois à l’équité de dire que la réciproque est vraie. À qui la faute ?
L’instauration d’une Cour suprême en Europe ou d’un corps de magistrats européens vous paraît-elle opportune ?
P. R. : Les constructions continentales en matière de justice sont séduisantes pour l’esprit, mais difficiles à faire vivre dans les faits. Regardez l’exemple des 16 pays d’Afrique qui appliquent le traité OHADA avec ce qu’il implique d’organisation judiciaire supranationale en matière commerciale. Dix ans après son entrée en vigueur, l’harmonisation africaine, aux dires de ses acteurs, se heurte à la résistance des cours de cassation nationales. En irait-il autrement dans nos vieux pays fiers de leurs spécificités juridiques et juridictionnelles ?
La faveur accordée par certains milieux d’affaires à l’arbitrage, comblerait-elle ce besoin d’harmonisation ?
P. R. : Ce sont surtout les grandes entreprises qui, en raison de son coût, recourent à l’arbitrage. Au regard du million de décisions que rendent chaque année les tribunaux de commerce français, le nombre d’arbitrage est infime. Ceux qui y recourent me semblent plus préoccupés de choisir leurs juges-arbitres que de servir la cause de l’harmonisation européenne.
Constatez-vous dans votre pratique du forum shopping ou treaty shopping, c’est-à-dire des entreprises qui choisiraient délibérément de s’inscrire sous la compétence d’une juridiction nationale plutôt que d’une autre en fonction des matières en jeu ?
P. R. : Oui, il faut bien comprendre que le droit et l’organisation judiciaire des États sont des facteurs de compétitivité des entreprises.
1 www.carte-judiciaire.justice.gouv.fr