Au Mexique, neuf personnes sur dix achètent des produits piratés

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©eppdCSI / ARNAUD ROBIN
Pour lutter contre le piratage et la contrefaçon, les entrepreneurs travaillent en collaboration avec les douanes et les autorités. Cette coopération a été couronnée en juin 2010 par un prix de l’Organisation mondiale des douanes.

 

Le dernier film nord-américain à la mode ? La version la plus actualisée du logiciel informatique Word ? Un vieux concert peu connu du chanteur jamaïquain Bob Marley ? Au Mexique, tout, ou presque tout, est à disposition du consommateur, pour quelques pesos, sur les stands mobiles des vendeurs informels qui apparaissent et disparaissent dans la capitale tout comme dans le reste du pays. Les produits sont généralement copiés de manière illégale, de plus ou moins bonne qualité, mais leur faible prix – 10 pesos, soit 0,80 dollar ou 0,60 euro, pour un CD musical piraté contre 150 pesos pour un CD original – finit souvent par convaincre les clients les plus réfractaires. Informel, ce marché « pirate » existe sur tout le continent latino-américain, à plus ou moins grande échelle. « Les Mexicains sont cependant connus pour être les plus gros consommateurs de produits piratés d’Amérique latine », souligne Mike Margain, porte-parole du Comité de propriété intellectuelle de la Chambre américaine du Mexique (American Chamber of Mexico).

Tous les ans, cette institution qui rassemble 1 500 entrepreneurs à la fois mexicains et étrangers réalise une étude poussée sur le comportement et les habitudes de consommation des produits piratés et falsifiés au Mexique. Une étude dont les résultats sont somme toute sans équivoque : bien que 58 % des personnes interrogées aient une perception négative de la falsification, près de neuf Mexicains sur dix reconnaissent utiliser des produits piratés. L’enquête démontre aussi que les consommateurs issus des niveaux socio-économiques les plus bas sont les plus grands utilisateurs d’articles falsifiés, le faible prix jouant évidemment un rôle déterminant. « Malgré tout, rien ne peut justifier le piratage. Falsifier est un vol ! », tranche Mike Margain. « C’est un problème grave qui préoccupe et fait peur aux entrepreneurs », reconnaît le porte-parole. Selon l’American Chamber of Mexico, le marché informel ou pirate représente des pertes de 975 milliards de pesos (79 milliards de dollars, soit 59 milliards d’euros) pour l’industrie locale. « Tous les secteurs d’activité sont affectés, mais les plus touchés sont surtout l’industrie cinématographique, les secteurs liés à la vidéo, à la musique et au monde informatique », détaille Mike Margain. Toujours selon cette enquête sur le comportement, les consommateurs de produits piratés sont surtout en quête de CD et DVD.

Viennent en second lieu les chaussures et les vêtements. Les Mexicains auraient cependant quelque réticence à consommer des produits piratés pouvant avoir des répercussions sur la santé comme les médicaments, les cigarettes, l’alcool ou les produits alimentaires. « Évidemment, l’État mexicain a un manque à gagner très grand, puisqu’il ne peut pas toucher d’impôts sur ce marché », ajoute Mike Margain, assurant aussi que l’importance du marché pirate a provoqué la perte de quelque 480 000 emplois et une évasion fiscale de 125 milliards de pesos (10 milliards de dollars, soit encore 7,5 milliards d’euros). La plus grande partie des produits falsifiés qui sont répandus au Mexique provient d’Asie et notamment de Chine. « La lutte contre la falsification se joue de fait dans les douanes », estime ainsi Mike Margain pour lequel « ce moyen est le moins cher pour les entreprises et le plus efficace pour combattre la piraterie ». Cependant, tempère le spécialiste : « tous les produits falsifiés ne viennent pas de l’étranger. Il existe aussi une industrie nationale, mais qui a été fortement concurrencée par les produits pirates asiatiques. »

De fait, depuis plusieurs années, les entrepreneurs appuient le travail renforcé des services des douanes et des autorités mexicaines, qui a porté ses fruits : en juin 2010, le Mexique a ainsi reçu un prix de l’Organisation mondiale des douanes pour les efforts réalisés dans la lutte contre la piraterie et la falsification à ses frontières. Selon un communiqué diffusé par l’ambassade du Mexique en Belgique, le plan stratégique 2007-2012 mis en place par les douanes mexicaines a en effet permis de réaliser en 2009 plus de 460 saisies, correspondant à plus de 38 millions d’articles de diverses marchandises, représentant une valeur de 220 millions de dollars (165 millions d’euros) sur le marché informel. « Le Mexique est l’un des pays faisant le plus de saisies par an », se félicite Mike Margain qui estime que « la lutte contre la piraterie est le travail de tous (…). On ne peut la laisser dans les mains du seul gouvernement. » Et en effet, la Chambre américaine du Mexique appuie la signature de l’Acta, l’Accord commercial anti-contrefaçon, élaboré par de nombreux pays afin de lutter contre la piraterie (voir notre article page 60). Le Mexique est ainsi le seul pays d’Amérique latine à avoir pris part aux débats et aux longues négociations ayant permis l’élaboration du texte final de l’ACTA.

Il n’a cependant pas encore ratifié l’accord qui a soulevé en terre mexicaine, comme dans le reste du monde, une grande controverse autour des questions relatives aux libertés existantes sur Internet. Selon ses détracteurs, l’Acta porterait en effet atteinte à la vie privée des Internautes. Face à l’activisme des opposants à l’accord et au peu de transparence émise par le gouvernement autour des négociations, les sénateurs mexicains ont donc réclamé en octobre 2010 au président Felipe Calderón de marquer une pause dans le processus d’adoption du traité. Un groupe de travail multisectoriel intégrant des associations de la société civile a ensuite été mis en place, en décembre 2010, afin de conseiller le Sénat qui sera chargé de se prononcer sur l’Acta à une date encore non indéterminée. Selon l’Institut mexicain de la propriété intellectuelle, le texte final élaboré par l’ensemble des pays participants ne pouvant être modifié, le Sénat ne pourra toutefois que le ratifier en l’État ou le rejeter. « Il est dommage que le débat se soit tant polarisé autour du thème d’Internet », se lamente Mike Margain qui espère que l’Acta – « qui est un accord essentiellement douanier », estime-t-il, sera approuvé par le Mexique : « Ce serait un pas très important dans la lutte contre la piraterie. »

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