L’ordonnance 2021-1193 du 15.09.2021 a transposé en droit français la directive européenne «Restructuration et Insolvabilité». Voici les principales dispositions de cette réforme entrées en vigueur le 01.10.2021.
Avant-propos. En 2019, la loi Pacte a habilité le Gouvernement à aménager, par voie d’ordonnance, le droit des entreprises en difficulté afin, d’une part, de simplifier, clarifier et moderniser le régime des sûretés en cas de procédure collective du débiteur et, d’autre part, de transposer en droit interne la directive 2019/1023 du 20.06.2019 relative à la restructuration préventive et à l’insolvabilité des entreprises (Loi 2019-486 du 22.05.2019 art. 60 et 196). C’est chose faite avec la publication de l’ordonnance (Ord. 2021-1193 du 15.09.2021, JO du 16.09) et de son décret d’application (Décret 2021-1218 du 23.09.2021, JO du 24.09). Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 01.10.2021. Les procédures en cours à cette date n’y sont pas soumises (Ord. 2021-1193 art. 73, I ; Décret 2021-1218 art. 51).
Principales nouveautés concernant les mesures préventives
Pouvoir d’enquête du président du tribunal. Lorsqu’il apparaît qu’une entreprise connaît des difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, ses dirigeants peuvent être convoqués par le président du tribunal pour que soient envisagées les mesures propres à redresser la situation (C. com. art. L 611-2, I, al. 1 et L 611-2-1). Pour l’éclairer sur la situation de l’entreprise, le président du tribunal peut solliciter des renseignements auprès de certaines personnes et institutions (commissaires aux comptes et membres du comité social et économique notamment).
Désormais, le président du tribunal peut interroger ces personnes dès l’envoi de la convocation au dirigeant et dans les 3 mois qui suivent l’envoi de la convocation (C. com. art. L 611-2, I, al. 2 et R 611-12, al. 1). Il ne pouvait le faire auparavant qu’après l’entretien du dirigeant ou si le dirigeant ne s’était pas rendu à sa convocation.
Alerte plus précoce du président du tribunal par le CAC. Désormais, le commissaire aux comptes (CAC) peut, lorsque l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse ou envisage des mesures insuffisantes, informer le président du tribunal dès la première information faite au président du conseil d’administration ou de surveillance ou au dirigeant (C. com. art. L 611-2-2, al. 1).
S’il décide de ne pas attendre la réponse du dirigeant, le commissaire aux comptes doit informer par tout moyen et sans délai le président du tribunal de ses constats et démarches, et lui exposer les raisons qui l’ont conduit à constater l’insuffisance des décisions prises. Il peut lui transmettre tout renseignement complémentaire de nature à lui donner une exacte information sur la situation de l’entreprise et demander à être entendu par lui avec les dirigeants (C. com art. L 611-2-2, al. 2, 3 et 4).
Procédure de conciliation. Désormais, une entreprise qui fait l’objet d’une procédure de conciliation peut demander au juge qui a ouvert la procédure de lui octroyer des délais, avant toute mise en demeure ou poursuite, à l’égard d’un créancier qui n’a pas accepté, dans le temps imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de la créance (C. com. art. L 611-7, al. 5). Dans ce cas, le juge peut reporter ou échelonner le règlement des créances non échues dans la limite de la durée de la mission du conciliateur.
En pratique, l’entreprise a deux possibilités : soit elle attend que le créancier lui réclame le paiement et elle peut, dans ce cas, solliciter un délai de grâce pouvant aller jusqu’à 2 ans; soit elle prend les devants et demande au juge un échelonnement de sa dette à l’égard d’un créancier ayant refusé les propositions du conciliateur, pour une durée qui est alors plus limitée (de 5 mois au plus).
Procédure de sauvegarde adaptée
Rappel. Avant la réforme, il existait, à côté de la sauvegarde «classique», deux variantes : la sauvegarde accélérée et la sauvegarde financière accélérée, qui étaient réservées aux entreprises déjà engagées dans une conciliation et d’une certaine taille, à savoir aux entreprises établissant des comptes consolidés ou des comptes certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable et atteignant l’un des seuils suivants : 20 salariés ou 3 M€ de CA HT ou 1,5 M€ de total de bilan pour le dernier exercice clos.
Fusion de la sauvegarde accélérée et de la sauvegarde financière accélérée. La réforme a fusionné ces deux variantes de la sauvegarde sous la dénomination de «sauvegarde accélérée», tout en laissant la possibilité de limiter la procédure aux établissements de crédit et autres créanciers financiers (C. com. art. L 628-1 à L 628-5 et R 628-1 à R 628-7).
Conditions d’ouverture de la sauvegarde accélérée. Certaines conditions d’ouverture de la sauvegarde accélérée sont maintenues avec quelques aménagements : la cessation de paiements ne datant pas de plus de 45 jours, l’exigence de comptes certifiés par un CAC ou établis par un expert-comptable et le projet de plan établi dans le cadre d’une conciliation préalable et susceptible d’être adopté par les parties affectées par ce projet (et non plus par les comités de créanciers) à court terme (désormais, 4 mois maximum). En revanche, les conditions relatives aux comptes consolidés et aux seuils d’effectifs, de chiffre d’affaires et de total de bilan sont supprimées (C. com. art. L 628-1).
La sauvegarde accélérée n’a d’effet qu’à l’égard des parties affectées par le projet de plan établi lors de la conciliation (C. com. art. L 628-6), et ce projet est soumis au vote des classes de parties affectées (voir ci-après), dont la constitution est ici obligatoire.
Durée de la période d’observation de la sauvegarde classique : 12 mois maximum. En cas de sauvegarde classique, la durée de la période d’observation est de 6 mois, renouvelable une fois pour la même durée, et elle pouvait être exceptionnellement prolongée de 6 mois supplémentaires à la demande du procureur de la République (soit une durée maximale de 18 mois). Cette prolongation exceptionnelle de 6 mois est supprimée. Ainsi, la durée maximale de la période d’observation de la sauvegarde classique est désormais limitée à 12 mois (C. com. art. L 621-3).
Privilèges de post money
Pérennisation des privilèges pour les apports d’argent frais. Durant la crise sanitaire, des privilèges ont été créés temporairement pour inciter les apports de trésorerie au profit d’un débiteur faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité ou bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement arrêté par le tribunal (Ord. 2020-596 du 20.05.2020 art. 5, IV et 10, II ; Loi 2020-1525 du 07.12.2020 art. 124). Ces privilèges sont pérennisés au bénéfice des personnes ayant consenti un nouvel apport de trésorerie :
– en vue d’assurer la poursuite de l’activité pour la durée de la procédure (C. com. art. L 622-17, III-2°); ces apports doivent être autorisés par le juge-commissaire dans la limite nécessaire à la poursuite de l’activité pendant la période d’observation (C. com. art. L 622-17, III, al. 6);
– pour l’exécution du plan de sauvegarde ou de redressement ou à l’occasion de la modification de ce plan (C. com. art. L 626-10, al. 1 et L 626-26, al. 3); mais ce privilège ne profite ni aux apports consentis par les actionnaires et associés de la société débitrice dans le cadre d’une augmentation de capital ni, directement ou indirectement, aux créanciers pour des concours antérieurs à l’ouverture de la procédure collective (C. com. art. L 626-10, al. 5); ces apports ne sont pas soumis à l’autorisation du juge-commissaire, mais au vote des classes de parties affectées.
Bon à savoir. Ces dispositions s’appliquent à la sauvegarde, y compris accélérée, au redressement judiciaire et, pour le premier de ces privilèges, à la liquidation judiciaire.
En cas de modification du plan de sauvegarde ou de redressement arrêté dans une procédure ouverte avant le 22.05.2020, les apports de trésorerie effectués lors de cette modification bénéficient du même privilège (Ord. 2021-1193 art. 73, III).
Rang de paiement des apports de trésorerie. Le rang de paiement de ces apports d’argent frais a été amélioré : ils ne viennent plus en concours avec les créances résultant des contrats poursuivis, mais ils restent primés par certaines créances salariales, les frais de justice de la procédure collective, les apports de trésorerie réalisés durant la procédure de conciliation et, en cas de liquidation judiciaire, par les créances garanties par une sûreté immobilière (C. com. art. L 622-17, L 641-13 et L 643-8, I-8°).
Adoption du plan par des classes de parties affectées
Jusqu’à la réforme, les créanciers d’un débiteur en sauvegarde (y compris accélérée) ou en redressement judiciaire pouvaient être consultés sur le projet de plan dans le cadre de comités de créanciers. Ces comités de créanciers ont été remplacés par des «classes de parties affectées». Désormais, le plan est voté par les seules parties affectées par celui-ci, qui sont, pour ce vote, regroupées par classes selon des communautés d’intérêt distinctes (C. com. art. L 626-29 à L 626-34).
Parties affectées. Sont des parties affectées (C. com. art. L 626-30, I) :
– les créanciers dont les droits sont directement affectés par le projet de plan;
– les détenteurs de capital si leur participation au capital de la société débitrice, les statuts ou leurs droits sont modifiés par le projet de plan.
Constitution obligatoire des classes. La constitution de classes de parties affectées est obligatoire (C. com. art. L 626-29, L 628-4 et D 626-52) :
– si, à la date d’ouverture de la procédure, l’effectif de l’entreprise débitrice atteint 250 salariés et son chiffre d’affaires net 20 M€ ou si elle réalise au moins 40 M€ de chiffre d’affaires net;
– lorsque l’entreprise débitrice est une société qui en détient ou en contrôle une autre et que l’ensemble des sociétés concernées atteignent les seuils ci-dessus;
– en cas de sauvegarde accélérée.
Bon à savoir. En dehors de ces cas, le débiteur et, en cas de redressement judiciaire, l’administrateur peuvent demander au juge-commissaire l’autorisation de constituer des classes de parties affectées (C. com. art. L 626-29, al 4 et L 631-1, al. 2).
Composition des classes de parties affectées. La composition des classes des parties affectées est déterminée par l’administrateur judiciaire au vu des créances et droits nés avant la date du jugement d’ouverture de la procédure, sur la base de critères objectifs vérifiables et d’une communauté d’intérêt économique suffisante (notamment, classe des créanciers titulaires de sûretés réelles portant sur les biens du débiteur, classe des créanciers chirographaires, classe(s) des détenteurs de capital, etc. (C. com. art. L 626 30, III).
Adoption du plan. Le projet de plan élaboré par le débiteur est adopté par chaque classe à la majorité des deux tiers des voix détenues par les membres ayant exprimé un vote (C. com. art. L 626-30-2, al. 4 et 5 et art. R 626-60).
Toutefois, les détenteurs de capital statuent selon les règles du droit des sociétés avec quelques aménagements (C. com. art. L 626-30-2, al. 6, R 626-60 et R 626-62).
Conditions d’arrêté par le tribunal du plan voté par les classes. Avant d’arrêter le plan voté par les classes de parties affectées, le tribunal doit notamment vérifier que (C. com. art. L 626-31) :
– les parties affectées, partageant une communauté d’intérêt suffisante au sein de la même classe, bénéficient d’une égalité de traitement dans ce plan et sont traitées de manière proportionnelle à leur créance ou à leur droit;
– le plan respecte le critère du «meilleur intérêt des créanciers», c’est-à-dire que les parties affectées qui ont voté contre le plan ne se trouvent pas dans une situation moins favorable, du fait du plan, que celle qui leur serait réservée soit en cas de liquidation judiciaire ou de plan de cession, soit par application d’une meilleure solution alternative si le plan n’était pas validé;
– tout nouveau financement est nécessaire pour mettre en œuvre le plan et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts des parties affectées.
Le tribunal peut refuser d’arrêter le plan si celui-ci n’offre pas une perspective raisonnable d’éviter la cessation des paiements du débiteur ou de garantir la viabilité de l’entreprise.
Bon à savoir. Le tribunal peut imposer un plan à des classes de parties affectées qui ont voté contre celui-ci si le plan respecte certaines conditions, notamment l’égalité de traitement au sein des classes, le critère du meilleur intérêt des créanciers et l’utilité des financements nouveaux (C. com. art. L 626-32 pour le plan de sauvegarde, applicable pour l’essentiel au plan de redressement par renvoi de C. com. art. L 631-19, I, al. 5).
Renforcer la prévention, faciliter l’accès aux procédures rapides, mettre en place le cadre de restructuration imposé par le droit européen tout en préservant les droits des créanciers, tels sont les principaux objectifs de la réforme du droit des entreprises en difficulté.
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