Le délicat pari de la transmission

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L’Europe présente de grandes disparités en la matière. Quand, en France, seulement 10 % des cessions d’entreprises sont des transmissions familiales, le taux grimpe à 72 % en Italie. L’Allemagne affiche un pourcentage de 58 %. La moyenne européenne est de 44 %.

 

Les multiples difficultés inhérentes à cette phase particulière de la vie d’une société expliquent ces écarts importants. « Il faut une véritable culture du domaine pour passer le relais sans encombre. Plus que pour les autres entreprises, la transmission représente une équation très délicate à résoudre pour les groupes familiaux », explique Bérangère Deschamps, maître de conférences à l’IAE (Institut d’administration des entreprises) de Grenoble et chercheure au CERAG (Centre d’études et de recherche appliquées à la gestion).

 

On constate que 6 transmissions familiales sur 10 sont dues à un départ en retraite. « Mais dans de nombreux cas, elles ne sont pas suffisamment réfléchies et anticipées, ce qui peut fragiliser considérablement le groupe pour la génération future », regrette Bérangère Deschamps. D’autant que le nouveau dirigeant manque parfois de maturité et d’expérience pour diriger efficacement la structure. L’âge moyen du repreneur d’une entreprise familiale est de 36 ans, contre 41 ans pour les autres sociétés.

 

De multiples précautions à prendre
Cinq ans après leur reprise, les entreprises affichent un taux de défaillance qui avoisine les 20 %. Seules 12 % des sociétés familiales survivent à la 3e génération et 3 % à la quatrième. On estime que 1 dépôt de bilan sur 10 est imputable à des problèmes de succession. Des chiffres qui présagent de nombreuses difficultés à venir, car, en Europe, un tiers des patrons d’entreprises a plus de 50 ans. Rien qu’en France, près de 900 000 sociétés s’apprêtent à changer de propriétaire d’ici à 2015…

 

« Attention, toutes ces entreprises ne sont pas bonnes à reprendre », prévient Bérangère Deschamps. « Les projets de transmission sont souvent trop peu étudiés, les repreneurs pas assez accompagnés », déplore-t-elle. Elle souligne par ailleurs que « les sociétés reprises sont généralement de petites structures dont l’environnement diffère radicalement d’un grand groupe ». La descendance familiale n’a parfois qu’une connaissance très restreinte des métiers et enjeux qui concernent l’entreprise. L’opération s’avère alors bien difficile. « Ai-je les ressources pour réussir ? Suis-je suffisamment entouré ? Voilà des questions à se poser absolument », poursuit-elle.

 

La concurrence, l’état du marché, les perspectives du secteur d’activités sont autant d’aspects à étudier en détail. Avant de débuter un audit de l’entreprise, c’est une véritable étude de marché qu’il faut mener. « Cet aspect est souvent négligé ou omis alors qu’il est indispensable », regrette Bérangère Deschamps. « Quant à l’analyse de la société elle-même, la présentation faite par le cédant se révèle bien insuffisante. Ce n’est pas parce qu’il y a un lien filial ou qu’on a exercé dans l’entreprise qu’on en maîtrise d’emblée les rouages. »

 

Les experts recommandent d’éplucher les dépôts de brevets et les contrats signés avec les partenaires, et de passer au crible l’histoire de la structure, « et pas uniquement les trois dernières années », insiste la chercheure. Tous les compartiments doivent être analysés : les clients que l’entreprise a gagnés, perdus, fidélisés, l’ancienneté des salariés, leur degré d’implication… « Le taux d’échec atteint 50 % lorsque le repreneur a fait son parcours dans un autre secteur d’activité que celui de l’entreprise », rappelle-t-elle.

 

Une étude menée par le groupe Oséo révèle qu’un repreneur qui ne dispose pas d’une connaissance poussée de l’activité de la société a 1,5 fois plus de risques d’échecs dans les secteurs à forte technicité comme l’industrie, le transport, le commerce de gros, le BTP. Dans le domaine artisanal, il est même jugé indispensable que le nouveau dirigeant soit compétent sur les aspects techniques spécifiques de l’activité.

 

Profiter de soutiens extérieurs objectifs
Oséo indique également qu’une société recourant à des soutiens extérieurs au cours du passage de flambeau présente deux fois moins de risque d’échec. Pour prendre de la hauteur, l’aide extérieure objective apportée par un conseiller s’avère vitale, notamment au cours de l’année qui suit la reprise, une phase charnière qui nécessite un accompagnement poussé. Il est recommandé au cédant de s’entourer, au moins 3 à 5 ans avant l’échéance, d’une véritable équipe dédiée à la transmission, composée de gestionnaires patrimoniaux, d’auditeurs et de juristes. Il faut aussi penser aux réorganisations internes qui peuvent être lourdes.

 

Le dirigeant est parfois seul à entretenir les relations avec les partenaires et à connaître de manière détaillée les objectifs et les stratégies employées. Dans ces conditions, passer le relais sans altérer la confiance des collaborateurs et sans ralentir le fonctionnement de l’entreprise peut demander plusieurs années. « Le recours aux spécialistes extérieurs peine à entrer dans les mœurs. Au cours des 25 dernières années, on ne constate qu’une très faible évolution sur ce plan », reconnaît Bérangère Deschamps.

 

Pour remédier aux mauvais chiffres français en termes de transmission d’entreprises familiales, les pouvoirs publics ont mis en place des règles incitatives. Si le chiffre d’affaire dépasse 300 000 euros par mois, la transmission peut prendre la forme d’une donation. Les droits de succession doivent néanmoins être acquittés, mais se trouvent réduits de 50 % si le donateur a moins de 65 ans, et de 30 % s’il est plus âgé.

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