Christophe Bouvier est directeur régional en charge de l’Europe du Programme des Nations unies pour l’environnement (Unep).
Commerce International : Quelle est la mission de l’Unep ?
Christophe Bouvier : « L’Unep est la voix de l’environnement au sein du système des Nations unies. Notre objectif est de promouvoir le développement durable, c’est-à-dire l’amélioration du bien-être des générations présentes tout en préservant celui des générations futures. Notre action est centrée sur le milieu naturel et sur les personnes, et notre rôle est à la fois normatif et opérationnel. Notre vocation est d’établir des liens entre la recherche scientifique, d’une part, et le pouvoir politique et les investisseurs privés, d’autre part – comme ce fut le cas, par exemple, avec la création du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat]. Il s’agit de fournir toutes les informations nécessaires aux décideurs publics et privés afin qu’ils puissent prendre leurs décisions en étant le mieux informés possible. »
Quelles sont vos priorités ?
C. B. : « L’Unep articule ses actions autour de six grandes priorités : le changement climatique, la gouvernance environnementale (au niveau mondial, mais aussi au sein des États), la bonne gestion des produits toxiques (autrement dit, la lutte contre la pollution), l’utilisation efficace des ressources dans tous les domaines, la gestion durable des écosystèmes et une approche plus humanitaire qui s’intéresse aux liens entre environnement et conflits et désastres. »
Comment s’organisent vos activités en Europe ?
C. B. : « Notre travail en Europe s’articule autour de ces six axes. Depuis notre bureau basé à Genève, nous couvrons plus de cinquante pays – l’Union européenne bien sûr, mais aussi les Balkans, la Scandinavie, la Russie, la Turquie, Israël, etc. La variété des pays de la zone justifie des actions différentes, qui vont de la simple coordination technique au dialogue avec le pouvoir politique. Le point commun de ces actions étant la notion d’économie verte, que je préfère appeler économie du futur, dans la mesure où il s’agit d’aider à la transition vers un mode de production plus durable et plus compétitif. En Europe de l’Est, par exemple, la plupart de nos programmes portent sur les liens entre l’environnement et la sécurité. Dans les Balkans, nous gérons l’“ héritage oublié ” de la guerre de 1995, en ex-Yougoslavie, les conséquences de l’utilisation d’uranium appauvri dans les armes ayant servi dans ces conflits ; en Russie, les stocks de fioul en plein air pour les missiles balistiques ; en Albanie, les liens entre pauvreté et environnement. D’une manière plus générale, il s’agit d’aider les gouvernements et les entreprises d’Europe de l’Est à avoir accès aux informations qui leur permettent de se développer. À l’opposé, notre dialogue avec les instances communautaires porte sur la réduction des gaz à effet de serre, la protection de la biodiversité ou encore le développement de partenariat avec les pays en voie de développement. Au sein de l’Union européenne, la coopération augmente également avec les régions, notamment sur leurs propres plans de développement durable. »
Justement, quel niveau d’action privilégiez-vous ?
C. B. : « Nous sommes une organisation mondiale, mais nous promouvons des actions décentralisées. Les acteurs locaux sont en effet ceux qui prennent la majorité des actions concrètes en faveur de l’environnement. C’est là que les chambres de commerce et d’industrie, avec leur montage en réseau, peuvent jouer un rôle important – à la fois dans les territoires dans lesquels elles sont implantées, mais aussi pour favoriser les échanges avec les pays en voie de développement qui cherchent des solutions et des investissements et bénéficient de circonstances favorables. Le progrès en matière environnementale se fera grâce à l’appui d’organismes comme les CCI (1). »
Quelle place les entreprises, notamment les PME, doivent-elles occuper en matière environnementale ?
C. B. : « Leur rôle est fondamental. C’est le secteur public qui fixe le cadre légal et les conditions de promotion et d’accès, mais les initiatives viennent des entreprises. On parle beaucoup des grandes sociétés, car elles réalisent des investissements importants dans les technologies propres. Mais l’immense majorité de l’économie est couverte par les PME, qui ont un accès plus difficile aux sources d’information. Nous travaillons à la mise en place d’un centre de promotion du développement propre afin de leur faire connaître les mécanismes financiers et législatifs de lutte contre le changement climatique, et leur permettre d’investir dans ce sens. Certains secteurs pensent déjà à long terme en matière de développement – les réassureurs, les énergéticiens, les constructeurs automobiles, les entreprises du bâtiment… Ce sont des partenaires importants, car ils encouragent les entrepreneurs et les consommateurs à adopter des comportements durables. »
Est-il vraiment possible de concilier compétitivité et protection de l’environnement ?
C. B. : « Profitabilité et gestion des ressources saine et durable n’ont pas à être opposées. C’est même un faux problème dans la mesure où l’économie verte est l’économie de l’avenir. Les entreprises qui seront capables d’investir vite et bien dans le secteur du durable seront dans de meilleures conditions pour être compétitives dans l’économie de demain. Ce n’est plus qu’une simple question morale ; les entreprises doivent se préparer pour être compétitives dans une économie à basse consommation en carbone. Toutes les activités économiques sont fondées en dernière instance sur des ressources naturelles. Or dans le monde, nous dépassons aujourd’hui collectivement de 1,3 à 1,4 fois les ressources que la terre est capable de régénérer. En outre, l’économie verte sera bénéfique pour les profits, mais aussi pour l’emploi. Il y a aujourd’hui dans le monde 12 millions d’emplois dans le recyclage, dont 10 millions en Chine. Nous pouvons soit importer ces produits, soit investir pour être à la pointe de ces technologies. Dans notre rapport sur l’économie verte, paru en février, nous avons ainsi identifié les dix secteurs économiques que nous jugeons les plus porteurs : l’agriculture, la construction, l’urbanisme, l’énergie, la gestion des forêts, l’industrie, le tourisme, les transports, le recyclage et l’eau. »
Mais alors, pourquoi est-ce si difficile de passer à une économie durable ?
C. B. : « D’une part, cette décision est à prendre en ayant en tête un horizon de vingt ans ; elle s’accompagnera d’une phase de transition difficile durant quelques années. Elle se heurte donc à la fois aux exigences de profits à court terme de certains entrepreneurs, mais aussi au manque de courage des décideurs publics, qui affrontent des élections tous les cinq ans. D’autre part, les pays en voie de développement ne voient pas dans l’économie verte des avantages, mais des mesures de néo-protectionnisme. Il faut donc convaincre ces pays de passer directement à une économie à faible consommation en carbone – autrement dit, de ne pas transiter par les mêmes étapes que nous –, en déliant les notions de bien-être et de développement de la consommation d’énergies fossiles. Enfin, la promotion de l’économie verte ne peut pas se faire de la même façon dans tous les pays. Par exemple, la géothermie est une option intéressante pour le Kenya, qui se situe sur le riff, mais pas forcément ailleurs ; les biocarburants pourront l’être en Biélorussie, sur des terres fertiles mais contaminées par Tchernobyl, donc impropres à des cultures de consommation humaine. Autrement dit, il faut adapter le cadre de l’économie verte aux spécificités de chaque région. »
(1) Les 11 et 12 avril prochains, l’International Chamber of Commerce (ICC) accueille à Paris le UNEP Business and Industry Global Dialogue. Le thème de ce colloque : sur la route de Rio +20, ou comment renforcer le rôle du secteur privé dans la transition vers une économie verte et l’efficacité énergétique.