Un front européen contre les hauts salaires des dirigeants

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Après la suite les rémunérations des banquiers, c’est au tour des salaires des dirigeants de subir la pression de l’opinion publique et de se retrouver en ligne de mire des instances européennes. Paradoxalement, c’est la confédération helvétique, connue pour ses hauts revenus, qui montre la voie à l’Union européenne. 67,9 % des Suisses se sont prononcés début mars contre les rémunérations « abusives. » Forts de leur succès, les citoyens helvétiques veulent aller encore plus loin en proposant à la consultation populaire, en septembre prochain, une réglementation des salaires au sein même de l’entreprise. Seront-ils suivis dans cette nouvelle étape par leurs voisins européens ?

 

En réaction à la crise, le ton monte en Europe contre les salaires des dirigeants. Le Parlement européen et la commission Ecofin se sont accordés fin février pour que les rémunérations variables des banquiers ne puissent plus dépasser leurs rémunérations fixes. À la mi-mars, ce fut au tour de Berlin d’annoncer que le gouvernement n’attendra pas les directives européennes pour encadrer salaires et primes des patrons.

Dans ce mouvement de grogne contre les hauts revenus, les Suisses vont encore plus loin. Lors d’une votation (référendum) le 3 mars dernier, une nette majorité s’est prononcée en faveur de l’initiative populaire «contre les rémunérations abusives». Cette idée, qui a fait son chemin depuis 2008, vise à renforcer dans les entreprises cotées en bourse l’influence des actionnaires sur les rémunérations du conseil d’administration et de la direction.

 

 

Parachute de 60 millions

Alors que déjà bien lancé au sein de l’opinion publique,  le débat avait été ravivé par les quelque 72 millions de francs suisses (60 millions d’euros) d’indemnités de départ attribués dans le cadre d’une clause de non-concurrence à l’ancien patron de Novartis, Daniel Vasella. Bien qu’abandonné entre temps, ce parachute doré a suffi à mettre de l’huile sur le feu et à jeter le discrédit sur la campagne contre l’initiative populaire menée par Economiesuisse. Cette organisation faîtière, représ­entant plus de 100 000 en­tre­pri­ses suisses, plus de cent associati­ons de bran­che et vingt chamb­­res de com­merce canto­nales, avait lancé une contre-offensive sous la forme d’une campagne financée à hauteur de huit millions de francs suisses (6,5 millions d’euros).

 

« Force est de constater que nous avons échoué dans notre souci de crédibilité auprès de nos concitoyens, qui assimilent encore entreprises à grands groupes », regrette Ursula Fraefel, responsable de la campagne d’Economiesuisse.  Pascal Gentinetta, directeur d’Economiesuisse, n’avait pas manqué de remarquer pendant la campagne sur le référendum que « si l’initiative ne concernait que 263 sociétés anonymes, soit moins de 0,1% des entreprises du pays, l’issue du référendum toucherait l’ensemble des PME, dont plus d’un tiers travaillent étroitement avec les grands groupes. »

Précisant qu’il aurait été contreproductif d’engager un chef d’entreprise comme ténor de sa campagne, Economiesuisse se résout désormais à attendre les textes de lois qui seront votés par le parlement en septembre.  Selon les premières ébauches, c’est l’assemblée générale des actionnaires qui statuera une fois par an sur le montant de la rémunération des dirigeants. Elle pourrait même interdire les indemnités de départ.

 

 

 

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Pour Rudolf Wehrli, président d’Economiesuisse,  la défaite ne touche pas seulement son organisation, mais l’ensemble des entreprises suisses, et met en péril l’économie du pays. Des juristes mandatés par l’organisation soulignent en effet le risque d’isolement de la Suisse, ce qui amènent Economiesuisse à s’interroger sur l’attractivité à terme de la Confédération auprès des investisseurs étrangers. Tandis que Pascal Gentinetta s’interroge sur l’avenir de l’embauche de cadres supérieurs en Suisse, « les candidats manquant de visibilité sur leurs revenus. »

C’est cependant sans compter sur la valeur d’exemple de l’expérience helvétique. Le « non » suisse aux rémunérations abusives fait en effet tâche d’huile en Europe. La votation du 3 mars a suscité Outre-Rhin la quasi-adhésion de la classe politique en cette période pré-électorale. Un sondage mené en janvier dernier par Statista, l’institut allemand de la statistique, révélait d’ailleurs que 74 % des Allemands jugeaient les salaires des patrons trop élevés, contre 21 % qui les trouvaient justifiés. Ils anticipaient sur les déclarations de Michel Barnier, commissaire européen au Marché intérieur qui indiquait début mars «  souhaiter que l’Europe se dote d’une réglementation pour que les actionnaires se prononcent sur les salaires de leurs dirigeants. » Et de préciser « Je suis actuellement en train de travailler sur une législation de l’Union européenne qui donnerait aux actionnaires un droit de regard systématique sur la rémunération. »

 

Les Suisses, de leur côté, entendent préserver leur longueur d’avance et se préparent à une nouvelle « votation ». Elle portera sur la question des écarts de salaires au sein de l’entreprise. Selon la proposition, le plus haut salaire ne saurait dépasser de plus de douze fois le plus bas salaire. Réponse en septembre prochain.