L’or est-il surévalué? Après dix années de hausse continue du cours de l’or, dont une hausse de 13% en 2011, la question semble légitime. Le consensus des prévisions pour 2012 exprimé par le London Bullion Market Association annonce une performance de +12% et un cours à 2 000 dollars (1 525 euros) l’once. Une hausse continue qui trouve sa source un climat économique et financier nourri d’incertitudes. Des tensions qui semblent loin de disparaître à l’image de la crise de la dette ou l’avenir de la zone euro. De nouveaux ajustements quantitatifs – qui s’expriment essentiellement par de la création monétaire1 – semblent inéluctables et génèrent de l’inflation. Le cours de l’or confirme déjà ces inquiétudes avec une hausse de +8% au mois de janvier 2012!
En étudiant le prix de l’or dans une perspective historique depuis 1971 (l’année de l’arrêt de la convertibilité dollar-or) et en ajustant les données de l’inflation, on constate qu’en 1980 (record historique), l’once a atteint 850 dollars (648 euros) l’once, ce qui correspondrait aujourd’hui à un cours de 2 500 dollars (1 906 euros) environ: soit un potentiel d’appréciation de l’or de +45% par rapport au cours actuel de 1 700 dollars (1 296 euros)!
Par ailleurs, l’étude de la banque UBS, L’or monnaie ultime, indique que, par rapport à d’autres actifs comme l’immobilier ou le pétrole et à leurs moyennes historiques (exprimées en once d’or) du baril ou d’un bien immobilier standard, l’or reste encore bon marché. Une autre étude du World Gold Council, The 10 Year Bull Market in Perspective, démontre que le marché de l’or n’est pas en phase de « bulle » et que la valorisation du métal jaune comparée aux autres grands actifs (immobilier, pétrole, bourses…) reste en dessous des plus hauts historiques. Alors que l’offre (la production minière pour l’essentiel) est en baisse, la demande mondiale d’or présente des perspectives considérables de croissance, en particulier en provenance de l’Asie.
En Chine, cette forte demande s’explique par la politique de dérégulation de son marché intérieur de l’or, initiée en 2001, et l’incitation de sa population à en acheter. À la même période, la Chine devient la seconde puissance économique mondiale: l’émergence d’une classe moyenne et le fort taux d’épargne dope la demande en or qui double en cinq ans, malgré la forte hausse du prix de l’or en renminbi2. Par la suite, le gouvernement chinois va favoriser via ses plus hautes instances financières la production, l’importation et la distribution d’or. Les résultats de cette politique s’observent très rapidement. La part de l’or physique (par préférence: pièces et lingots) dans le portefeuille des épargnants chinois ne cesse d’augmenter: elle est passée de 1% en 2007 à plus de 3% aujourd’hui.
La demande potentielle d’or de la Chine devrait rapidement atteindre 3 000 tonnes par an soit plus que la production minière mondiale actuelle. Dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis du dollar, l’Inde a récemment accepté de payer en or le pétrole qu’elle achète à l’Iran. Deuxième acheteur du pétrole iranien après la Chine et gros consommateur d’or pour la bijouterie, l’Inde se positionne déjà comme un des premiers acheteurs d’or sur le marché mondial. Ces stratégies géo-économiques ont un impact évident sur le cours de l’or. D’autres initiatives visant à utiliser l’or sont à prendre en compte comme par exemple la possibilité de paiement en or à la Bourse de Zurich, offerte en septembre 2011 par la société Suisse Six Securities Services, spécialisée dans les opérations de back-office boursier.
Le papier-monnaie représentait jusqu’au début du XXIe siècle une promesse de paiement, dont l’or était la contrepartie finale. Dans un tel système, toutes les monnaies sont échangeables contre de l’or sur simple demande au guichet des banques: la masse monétaire d’un pays égale ainsi à tout moment la valeur de son stock d’or. La parité entre les monnaies est globalement fixe, les balances commerciales s’équilibrent, l’inflation est relativement faible: voilà les avantages d’un système monétaire « étalon-or », où l’or est la monnaie ultime.
Alors quelle est la place pour l’or dans les actifs? Les banques centrales dans le monde sont globalement redevenues « acheteuses nettes » d’or physique, alors qu’elles étaient vendeuses depuis des décennies. C’est le cas de la Chine, de l’Inde, de la Russie, mais aussi du Sri Lanka, des Philippines ou du Venezuela. Ainsi, si les banques centrales des pays asiatiques décidaient d’augmenter leur stock d’or de seulement 1%, cela équivaudrait à une demande supplémentaire de 900 tonnes, soit 36% de la production annuelle mondiale.
Progressivement, l’or retrouve une place de choix dans la gestion de leurs réserves. Cette tendance majeure aura, à terme, un impact sur les stratégies d’investissement des grands opérateurs financiers institutionnels. Selon une étude du Fonds monétaire international (FMI), le taux moyen d’allocation d’or des investisseurs est de seulement 1% de la valeur totale de leurs actifs sous gestion! Pourtant, de nombreuses études scientifiques sur les vertus de l’or en termes de diversification et de réduction des risques démontrent que le taux optimal d’allocation d’or se situe entre 5 et 10%! Le chemin à parcourir pour élever ce taux de 1 à 10% (ou même 5%) impliquera une forte hausse de la demande d’or à l’avenir.
Une étude récente de Forbes vient de plus confirmer l’hypothèse avancée par de nombreux analystes monétaires: si l’or devait à nouveau assumer une fonction monétaire intégrale (chaque dollar étant couvert par de l’or), le cours exploserait instantanément à un niveau de 10 000 dollars (7 626 euros) l’once, soit six fois son cours actuel. Une bonne indication de sa valeur monétaire et donc de son prix d’équilibre à long terme…
Observons pour terminer l’évolution de la valeur de 100$ en grammes d’or depuis 1900: de 150 à 2g équivaut à une dévaluation de 99%, il ne reste plus que 1%…
1 La création monétaire ou « planche à billets » désigne l’impression massive de billets, donc une création monétaire dénuée de valeur réelle. Si elle est censée ne plus exister, elle a été utilisée aux États-Unis, sous la forme d’une politique d’assouplissement quantitatif, dans le but d’éviter une aggravation de la crise dite des subprimes de 2007-2008. En Europe, pour faire face à la crise de l’endettement de certains pays de l’Union monétaire européenne, la Banque centrale européenne (BCE) a elle-même dérogé à cette interdiction par décision du 10 mai 2010.
2 Le yuan renmimbi (« la monnaie du peuple »), est le nom officiel de la devise nationale de la République populaire de Chine
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