Après avoir embauché à tour de bras, l’heure n’est aujourd’hui plus à la fête. Au contraire, l’inquiétude prévaut. Finies les soirées extravagantes qui célébraient chaque semaine la naissance de nouvelles start-up. Exit l’époque où les sociétés de capital-risque déversaient des millions à la simple évocation d’une idée. Envolées les promesses de stock-options et leur cortège de jeunes millionnaires arrogants… Depuis avril dernier, la confiance est retombée. Et la Silicon Valley qui se dopait à l’euphorie boursière pâtit aujourd’hui de la chute du Nasdaq. La bourse américaine brûle ce qu’elle avait adoré, c’est-à-dire les valeurs de technologie (télécommunications, informatique, etc..), et l’indice Nasdaq Composite, baromètre de référence des valeurs de la « nouvelle économie », vacille depuis le début de l’année.
Licenciements et fermetures
La bulle en Bourse a éclaté, ce qui prouve bien que les investisseurs sont retombés les pieds sur terre, d’autant plus que dans le domaine de l’économie réelle, les fondamentaux sont au plus mal : la publicité en ligne, principale source de revenus des start-up, s’effondre.
Aujourd’hui, la vie s’y déroule au rythme des licenciements, des fermetures, des ventes aux enchères de mobilier. Les grands groupes comme Intel et Cisco, par exemple, ne sont pas épargnés par la tendance. Les sites web consacrés aux faillites et aux plans sociaux sont aujourd’hui les plus consultés. Les sites de recrutement tels Hotjobs, Monster et Valleyjobs ont bien entendu le vent en poupe… Sur la seule année 2000, par exemple, le cabinet Webmergers a estimé à 210 le nombre d’entreprises qui ont fermé. Plus d’une centaine parmi elles étaient dans le commerce électronique. Pour l’anecdote, les « pink slip parties » ont remplacé les « first tuesday ». A l’occasion de ces soirées, financées par les entreprises qui, elles, embauchent, les personnes licenciées (elles portent des insignes roses, couleur du bulletin de licenciement) viennent raconter leurs expériences.
Flexibilité maximale de l’emploi
Toujours aussi envié le modèle siliconien ? Pas si sûr. Dans le flot des licenciements, les salariés sont congédiés sans états d’âme, du jour au lendemain, et dans les cas les plus extrêmes sans aucun droit à une indemnité. Il faut le savoir, la Silicon Valley pratique la flexibilité maximale de l’emploi. Certains n’ont pas même le temps de sauvegarder leurs fichiers personnels sur leur ordinateur qu’on les pousse littéralement à la rue. Pour compléter, et noircir un peu plus le tableau, le répit des licenciés est bref : leurs stock-options ne valent plus rien, et l’allocation chômage est plafonnée à 1 000 dollars (7 000 francs par mois) durant six mois. Pas facile non plus de se faire à la mentalité très particulière de la Silicon Valley. Un univers certes très créatif, mais dans lequel les groupes font appel à de drôles de pratiques comme l’espionnage industriel, et s’il le faut la débauche chez leurs concurrents des salariés aux compétences recherchées. Cela étant, les méthodes à la limite de la brutalité ne choquent pas outre mesure aux Etats-Unis. Les victimes de ces suppressions de postes n’éprouvent pas forcément de l’amertume ou des regrets. Certains, encore jeunes, reprennent le chemin des études. D’autres comptent sur les nouvelles créations de postes. Car en dépit de la situation calamiteuse, les idées circulent et des sociétés continuent à se créer. Surtout, la plupart de ceux qui ont tenté l’aventure de la Silicon Valley avaient considéré cette période bénie comme irréelle et de toute façon provisoire.