Commerce International : Comment une entreprise peut-elle avoir une culture à la fois corporate et localisée dans chaque pays ?
Angela Diehl-Becker : « Un de mes clients à Paris, spécialisé dans l’industrie du luxe, m’impressionne par l’acceptation des cultures nationales qu’il doit gérer dans ses différentes filiales étrangères en Autriche, en Italie, en Allemagne… Dans ces pays, le groupe respecte l’enracinement culturel local. Cependant, les dirigeants essaient de développer une culture de groupe en choisissant une adresse prestigieuse, dans un bâtiment ancien magnifié par une puissante signature architecturale, tandis que le style des aménagements intérieurs et du mobilier est résolument moderne, haut de gamme et contemporain. De plus, dans chaque implantation, on trouve un espace de “ convivialité ”, une très belle pièce où il n’y a ni bureau, ni ordinateur, ni placard. L’aménagement sert uniquement à favoriser la communication entre les salariés et le brassage des idées autour d’un café… »
Je ne vois pas ce qu’il y a d’impressionnant…
A. D.-B. : « Si, c’est impressionnant ! Ou en tout cas remarquable. Car ce type de pièce n’est pas aussi répandu qu’on pourrait le croire. La majorité des sociétés multinationales ne veulent pas investir dans des pièces qui ne servent qu’à la convivialité. Au Royaume-Uni, il vous sera difficile d’en trouver. Là-bas, la convivialité, c’est au pub ou au club après les heures de bureau. Dans ce groupe français, la “ convivialité ” est une valeur corporate qui se traduit dans les aménagements intérieurs. »
Et en Allemagne ?
A. D.-B. : « Je connais un grand groupe allemand qui a particulièrement bien soigné son siège social, mais qui a localisé ses filiales étrangères dans des banlieues “ chaudes ”, où des problèmes d’insécurité existent. On dit souvent que les groupes allemands sont doués pour l’exportation, mais je vous assure que, dans le cas présent, la pratique managériale est peu efficace. Car les salariés des filiales étrangères se sentent particulièrement déconsidérés. Difficile, dans ces conditions, d’être motivé ! »
Les groupes allemands sont pourtant réputés être de bons exportateurs…
A. D.-B. : « Les exportations allemandes ne sont pas le fait exclusif des grands groupes. Elles s’appuient sur de nombreuses PME. Je pense en particulier à l’une d’elles, la filiale d’un grand groupe. Ce dernier avait justement des réticences à aller à l’international. Il a laissé sa filiale de commercialisation de 150 personnes le soin de s’en occuper. Ce qu’elle fait dans de nombreux pays. Forte de la réactivité d’une PME, cette filiale s’est montrée plus ouverte d’esprit que sa maison-mère. Elle a su développer une culture corporate en instaurant des critères de qualité assez élevés pour chaque implantation en matière d’aménagements intérieurs, de mobilier et de localisation : juste en bordure du centre historique d’une grande ville, avec une bonne desserte de transports en commun, dans des quartiers où il existe une vie culturelle, même le soir. Cette PME n’a pas eu de mal à concilier le développement d’une culture corporate dans le respect des cultures locales. Car les gens ont le droit de s’exprimer ouvertement et sont invités à échanger entre eux. Il faut aussi avouer que cette société est habituée à se conformer aux plus hauts standards de qualité, d’environnement et santé au travail. »
Inversement, comment respecter l’interculturalité au sein d’une implantation locale ?
A. D.-B. : « Tout d’abord, il faut éviter de créer des stéréotypes. Pour cela, la meilleure méthode, c’est de commencer par respecter les individus. Un conseil : donnez à vos collaborateurs étrangers de passage chez vous la possibilité de disposer d’un bureau personnalisé. Ne faites pas un bureau asiatique pour un Japonais. Mais demandez à cette personne ce qu’elle apprécie et ce qu’elle ne supporte pas. Telle personne, par exemple, ne supportera pas d’avoir un bureau sans fenêtre. Mettez-la alors dans un bureau avec une belle vue et cela lui suffira à se sentir bien. Ensuite, aidez les gens à découvrir votre culture. Pour cela, créez des occasions… et pas seulement dans une salle de réunion ! »
Les difficultés peuvent encore être plus nettes lorsque non pas deux, mais cinq nationalités doivent collaborer dans un même espace de travail…
A. D.-B. : « Pas nécessairement, car aucune méthode culturelle ne pourra alors dominer les autres. Si chaque pays est représenté par un salarié, il n’y aura pas de sous-groupe. Mais si quatre Français et quatre Allemands travaillent sur un même projet, il se peut que deux factions se montent l’une contre l’autre. En revanche, dans des groupes de projets multinationaux, les participants ont tendance à aller dans le même sens. »