Propriété intellectuelle: comment défendre son identité commerciale?

192

Sophie Havard Duclos dirige le département Propriété intellectuelle et nouvelles technologies du bureau parisien de Freshfields Bruckhaus Deringer LLP. Elle anime une équipe composée de cinq avocats qui disposent d’expertises techniques complémentaires en conseil et en contentieux de la propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, brevets, droits d’auteur, logiciels, concurrence déloyale) et des nouvelles technologies (contrats informatiques, e-commerce, Internet, données personnelles).

 

Commerce International : Quels sont les enjeux actuels de la propriété intellectuelle ?

 

Sophie Havard Duclos : « La contrefaçon est aujourd’hui un véritable fléau pour les industriels. Elle touche en particulier le domaine du luxe, du médicament, des pièces automobiles et du jouet. Mais surtout, elle évolue de manière exponentielle avec l’Internet et le e-commerce. Beaucoup de faux circulent sur la toile et ce phénomène est difficile à endiguer compte tenu de la volatilité des cyber-contrefacteurs. »

 

En quoi les PME sont-elles concernées par ces questions ?

 

S. H. D. : « Le droit français ne permet pas de protéger une idée, mais certaines entreprises franchissent la ligne blanche en se positionnant de la même façon qu’un de leurs concurrents : elles copient leur marque, prennent leur nom de domaine s’il n’est pas déposé, imitent les emballages de certains de leurs produits, copient leurs technologies, leurs messages publicitaires… Bref, elles reprennent à leur compte ce qui identifie une entreprise concurrente vis-à-vis du public et qui résulte généralement d’investissements massifs. Or, ces caractéristiques sont, dans certaines conditions, protégées. »

 

Que doit protéger une entreprise, et comment peut-elle le faire ?

 

S. H. D. : « Une entreprise doit protéger ses signes distinctifs – marques, dessins et modèles, brevets… – par des dépôts, soit auprès d’offices nationaux comme l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en France, soit auprès d’offices internationaux, tels que l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) qui permet au déposant d’une marque ou d’un modèle d’ob-tenir une protection unitaire dans les 27 pays de l’Union européenne. Il n’existe pas aujourd’hui de brevet communautaire, mais il est possible de déposer à l’Office européen des brevets (OEB) un brevet européen , qui pourra dans un second temps produire des effets dans les différents pays désignés. Surtout, il ne faut pas oublier de déposer le nom de sa société et de ses marques phares à titre de noms de domaines, avec des extensions nationales (.fr pour la France, par exemple), européenne (.eu) et mondiale (.com, .net, etc.). »

 

Quels sont les bons réflexes à adopter en termes de prévention ?

 

S. H. D. : « En matière de création artistique, il est nécessaire d’établir la preuve de la date de création de son œuvre, soit par le biais d’un dépôt de dessin ou modèle, soit par constat d’huissier ou le dépôt d’une enveloppe Soleau à l’INPI. On peut même s’envoyer une lettre recommandée à soi-même, à condition, bien sûr, de ne jamais ouvrir l’enveloppe, sauf devant huissier en cas de besoin. D’une manière générale, pour des créations moins facilement caractérisables – comme la déclinaison d’une campagne de publicité –, il est nécessaire de bien conserver les preuves permettant de dater sa création, son lancement, sa commercialisation, etc. »

 

Comment faire respecter ses droits en cas d’atteinte ?

 

S. H. D. : « La principale difficulté, en cas d’atteinte, est de constituer un dossier qui fait état de ses droits – autrement dit, de parvenir à établir la preuve de la matérialité de sa création ; d’où la nécessité d’adopter les bons réflexes énoncés précédemment. Si l’on suspecte une atteinte de la part d’un concurrent, il est conseillé de contacter un avocat. Suivant le degré de conflit, celui-ci peut soit mettre en demeure le concurrent de cesser ses actes litigieux dans un délai raisonnable – parfois, une simple lettre d’avocats peut suffire –, soit directement engager une procédure judiciaire en contrefaçon. Dans ce cas, il faut savoir que la loi du 29 octobre 2007, qui transpose une directive européenne d’avril 2004, a sérieusement renforcé les moyens d’action des victimes de contrefaçon. Elle offre ainsi tout un panel de nouvelles procédures – droit à l’information, obtention de mesures provisoires et conservatoires, etc. –, mais aussi de sanctions – prise en compte des bénéfices du contrefacteur dans le calcul de la réparation du préjudice, retrait des circuits commerciaux des produits contrefaits, etc.»