Pierre Monnet, Université franco-allemande: « Nous cherchons à former des cadres bilingues »

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Des bâtiments modernes, des pelouses bien entretenues, une atmosphère paisible et propice au travail : l’Université franco-allemande (UFA ou DFH, selon la langue choisie) présente un cadre idéal pour accueillir un campus. Pourtant, même en cherchant bien, on ne trouve pas un seul étudiant ou chercheur ici ! Et pour cause : l’UFA n’est pas une université à proprement parler, mais une structure spéciale placée à la tête d’un vaste réseau d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche situés en France et en Allemagne. Fondée en 1997 après la signature d’un accord intergouvernemental à Weimar, cette structure binationale a commencé à fonctionner deux ans plus tard. L’UFA a en réalité pris la relève d’une structure préexistante, le collège franco-allemand pour l’enseignement supérieur (CFAES), qui mettait déjà en place des cursus conjoints. Installée à Sarrebruck, ville-symbole car située à la frontière franco-allemande, l’UFA a pour principale activité la mise en place de cursus intégrés franco-allemands.

 

Plate-forme stratégique
Depuis sa naissance il y a dix ans, 144 cursus ont été initiés, dont 17 à caractère trinational ; ces cursus rassemblent en effet d’autres pays comme le Canada, l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg, la Pologne, le Royaume-Uni ou encore la Russie… « Nos cursus sont destinés à couvrir toutes les disciplines et tous les niveaux de diplômes dans le cadre du processus de Bologne, ainsi que toutes les formations des grandes écoles françaises », explique le professeur Pierre Monnet, président de l’UFA depuis le 1er janvier et actuellement directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris.
Concrètement, l’UFA ne distribue pas de diplômes ; elle fonctionne comme une plate-forme stratégique qui met en relation, accompagne et conseille les établissements membres de son réseau, finance les cursus et garantit par l’évaluation, la certification et l’assurance-qualité, la validité des diplômes binationaux délivrés par ces établissements membres. À l’heure actuelle, les étudiants suivant des cursus franco-allemands se divisent en trois parts à peu près égales : un tiers d’étudiants en droit, sciences humaines et sciences sociales, un tiers d’étudiants en gestion-commerce et un tiers d’étudiants dans la filière ingénieurs.

 

Un réseau de 163 établissements
Parmi les matières pas ou peu représentées, la médecine figure en tête ; cela s’explique notamment par les nombreuses asymétries existant entre les systèmes allemand et français : l’Allemagne pratique de son côté une politique basée sur le numerus clausus, tandis qu’en France la véritable sélection s’opère à la fin de la première année d’études. Au total, 163 établissements allemands et français sont membres du réseau chapeauté par l’UFA. Ce réseau compte, bien entendu, des universités, mais aussi des grandes écoles françaises et des universités technologiques allemandes. Les étudiants sont inscrits dans les 144 cursus, les 25 collèges doctoraux franco-allemands ou dans les co-tutelles franco-allemandes. « Nous cherchons in fine à former des cadres bilingues dont nos deux économies, nos deux sociétés et nos deux systèmes d’éducation et de recherche ont grandement besoin », souligne Pierre Monnet.

 

75 % du budget pour financer les cursus
L’UFA est une structure relativement légère si l’on considère son mode de fonctionnement. Forte en moyenne de vingt collaborateurs à temps plein et cinq à temps partiel, elle est dotée d’un budget de 10 millions d’euros pour l’année 2009 (+ 6,1 % par rapport à l’année dernière). Ce budget est abondé par les deux gouvernements en deux parts égales : 5 millions d’euros sont versés par la France (ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et celui des Affaires étrangères) et 5 millions d’euros par l’Allemagne (via les mêmes ministères, mais surtout par les Länder). Environ 75 % du budget sert à financer les cursus, 11,5 % à financer la recherche (les thèses en co-tutelle, les universités d’été, les conférences, les colloques, les partenariats privilégiés entre laboratoires et collèges doctoraux franco-allemands…) et 10 % aux frais de fonctionnement. Le bilan de l’université franco-allemande est probant : en 1999, il n’y avait « que » 1 356 étudiants français et allemands inscrits dans des formations conjointes et l’objectif assigné par les gouvernements était de doubler ce chiffre en dix ans. En fait de doubler, il a plus que triplé : 4 600 étudiants suivent des cursus intégrés binationaux avec l’UFA.

 

Hausse des bourses d’étudiants
L’université pourrait encore grandir, mais la crise économique a réduit les enveloppes budgétaires. « Nous avons eu cette année 30 demandes de cursus intégrés et nous n’avons pu en financer que 7 sur les 21 évaluées favorablement », rappelle Pierre Monnet. Même si la volonté politique semble réelle – l’UFA est l’une des rares institutions franco-allemandes dont le budget a augmenté cette année –, il semble donc inéluctable que l’institution fasse tôt ou tard appel à d’autres sources de financement complémentaires. L’objectif serait de doubler le budget actuel via le sponsoring et des partenariats avec des entreprises sans pour autant renoncer au financement public, les ministères français et allemand de la Recherche ayant en effet affiché des ambitions budgétaires conséquentes au regard des enjeux que constitue la formation d’une société exigeante de la connaissance et de l’innovation en Europe. Les premiers bénéficiaires en seraient les étudiants : la totalité de l’augmentation budgétaire dont a bénéficié l’UFA cette année servira ainsi à faire passer leurs bourses d’études de 250 à 270 euros par mois passé dans le pays partenaire dès la rentrée 2009-2010.

 

Trois questions à… Pierre Monnet, président de l’Université franco-allemande (UFA-DFH)

 

Commerce International : Quels sont les avantages pour un étudiant de suivre un cursus binational « labellisé » par l’UFA ?

 

Pierre Monnet : « Le besoin en cadres bilingues ne cesse d’augmenter malgré la crise. Les principaux “ consommateurs ” de diplômés franco-allemands sont les entreprises binationales, comme EADS. Les étudiants dotés d’un diplôme estampillé UFA ne restent pas longtemps au chômage quelle que soit leur filière. Depuis sa création, l’UFA a acquis une solide expérience qui lui a permis de former plus de 6 500 cadres binationaux. La mondialisation n’exclut pas, mais au contraire présuppose, une binationalisation bien comprise, car l’essentiel est d’abord de bien comprendre l’autre. »

 

Concrètement, comment un établissement d’enseignement supérieur peut-il intégrer le réseau de l’UFA ?

 

P. M. : « Nous disposons d’un cahier des charges très strict auquel tout établissement désirant établir avec un établissement partenaire un cursus placé sous le toit de l’UFA doit se soumettre. Ce cahier des charges comprend des critères objectifs de sélection tels que l’excellence disciplinaire, le bilinguisme, l’interculturalité, la parité des droits, une forte mobilité (nous exigeons en règle générale qu’un minimum de deux à trois semestres soient effectués à l’étranger pour une licence de six semestres)… »

 

Existe-t-il dans le monde des universités ou des programmes semblables à l’UFA ?

 

P. M. : « À ma connaissance, il n’y a que le programme Atlantis, qui a pour but de rapprocher des cursus entre l’Europe et l’Amérique du Nord, ainsi que les réseaux européens franco-italien et franco-néerlandais. Mais tous ces réseaux sont beaucoup moins développés que celui de l’UFA qui compte quand même dix années d’expérience. Quant au programme européen Erasmus, il connaît actuellement une phase de stagnation, même si l’on doit reconnaître qu’il a donné une impulsion décisive à la mobilité étudiante en Europe. Les cursus intégrés franco-allemands financés par l’UFA garantissent quant à eux un séjour prolongé dans le pays partenaire ainsi que l’obtention d’un double, voire d’un triple diplôme, soit une véritable valeur ajoutée par rapport à une mobilité “ sèche ”. »