Pierre Mirabaud, associé senior de Mirabaud & Cie, une banque privée fondée à Genève en 1819, a annoncé sa démission du poste de président de l’Association suisse des banquiers (ASB) après avoir occupé cette fonction durant six ans. Patrick Odier, de la banque Lombard Odier Darier Hentsch & Cie, a été désigné à l’unanimité pour lui succéder dès le 17 septembre.
Commerce International : Comment avez-vous accueilli avant le G20 de Londres l’inscription de la Suisse sur une liste noire (puis « gris clair » dans un second temps) des pays non coopératifs pour l’échange d’informations fiscales établie par l’OCDE ?
Pierre Mirabaud : « La Suisse n’a jamais été inscrite sur une quelconque liste noire ! Il y a eu une spéculation comme quoi elle pourrait l’être, mais finalement, aucune liste noire n’a vu le jour. Avant la publication du document de travail de l’OCDE pour le G20 de Londres, la Suisse a en effet déclaré qu’elle accepterait de transposer les dispositions de l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE dans ses conventions de double imposition. »
Comment expliquez-vous alors que la Suisse soit actuellement montrée du doigt par la communauté internationale ?
P. M. : « Confrontés à une crise d’une ampleur que personne n’avait imaginée, les grands pays européens font face à des déficits gigantesques et leurs ministres des Finances cherchent à tout prix des rentrées fiscales. Dans ce contexte, il est plus facile pour eux de pointer du doigt la Suisse – un petit pays, qui, en outre, n’est pas membre de l’Union européenne – que de modifier leurs propres pratiques fiscales, lesquelles, dans certains pays comme l’Allemagne, sont tellement compliquées et désavantageuses pour les citoyens que cela provoque une évasion fiscale. La Suisse n’est pas un bouc émissaire, mais elle paye le prix de son succès dans l’activité de gestion de fortune. La notion de protection de la sphère privée et de confidentialité pour les clients des banques, telle que nous la concevons en Suisse, n’est pas toujours comprise à l’étranger. »
Justement, comment se justifie le secret bancaire suisse ?
P. M. : « Le secret bancaire n’a jamais été absolu et la législation suisse est très claire sur ce que ce secret doit et ne doit pas protéger – la confidentialité ne fait jamais obstruction à la moindre enquête pénale, par exemple. Nous avons un système dans lequel l’État est au service de ses contribuables et où ceux-ci ont confiance en leur État – ils peuvent notamment s’exprimer par le biais de la démocratie directe et ont un droit de regard sur la manière dont les recettes sont dépensées. Dans d’autres pays, on a plutôt l’impression que ce sont les citoyens qui sont au service de l’État, dans le sens où celui-ci les presse comme des citrons ! Dès lors, il ne faut pas s’étonner que certains citoyens n’aient plus confiance dans leur État du point de vue fiscal. »
Comment se déroulent aujourd’hui l’entraide judiciaire et l’entraide administrative ?
P. M. : « L’entraide judiciaire existe avec tous les pays partenaires. La Suisse communique toutes les informations fiscales nécessaires, via un jugement, pour les questions de fraude fiscale, de terrorisme et de blanchiment. Pour ce qui est de l’entraide administrative entre autorités fiscales, dans le cas de suspicion d’évasion fiscale, l’État qui en fait la demande doit avoir signé une convention de double imposition avec la Suisse. Soixante-quatorze conventions de cet ordre sont en place ; elles doivent désormais être amendées ou renégociées pour certains États afin d’y inclure les dispositions de l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE, comme la Suisse s’y est engagée peu avant le G20. »
Quels sont les enjeux juridiques en cas de non-respect du secret bancaire ?
P. M. : « La loi fédérale sur les banques prévoit une stricte protection de la confidentialité des clients, suisses comme étrangers, et une peine sévère pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement pour tout collaborateur d’une banque qui ne respecterait pas cette confidentialité. Tout banquier qui divulguerait des informations sur les affaires de ses clients à des tiers non autorisés commettrait une infraction pénale. Pour ce qui est de l’entraide judiciaire, la confidentialité est levée par un juge suisse, tandis que pour l’entraide administrative, c’est l’autorité fiscale suisse qui répond à sa contrepartie étrangère. »
Selon vous, jusqu’à quel point est-il possible d’accroître la coopération internationale de la Suisse en matière de communication d’informations fiscales sans remettre en cause le secret bancaire ?
P. M. : « La solution trouvée par la Suisse protège complètement la confidentialité des clients qui ne sont pas poursuivis dans leurs pays pour un délit fiscal. En concevant l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE, les États n’ont pas souscrit à la divulgation automatique d’informations fiscales, mais à un échange d’informations sur demande. Ainsi, trois conditions sont nécessaires pour que la confidentialité soit levée et que la banque transmette des informations à des autorités fiscales étrangères : toute requête provenant de l’international doit s’appuyer sur un soupçon précis de fraude ou d’évasion fiscale, indiquer le nom du suspect et celui de la banque concernée. En d’autres termes, il s’agit de proscrire toute procédure de “pêche aux informations”, les “fishing expeditions”, comme celle initiée par les autorités fiscales américaines contre l’UBS au début de l’année. »
Quelles mesures préconise l’Association suisse des banquiers ?
P. M. : « L’Association suisse des banquiers a soutenu les décisions prises par le gouvernement et ses membres respecteront, comme ils l’ont toujours fait par le passé, les nouvelles dispositions qui seront mises en œuvre. Celles-ci devront être avalisées par le Parlement – en Suisse, les conventions de double imposition doivent être soumises aux représentants du peuple – et pourront même faire l’objet d’un référendum. Le peuple suisse devra donc normaliser ces nouvelles pratiques, et je suis confiant sur le fait qu’il le fera. »