Malgré la crise, l’Amérique latine continue d’attirer les investisseurs étrangers

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Après six années de vaches grasses, les économies des pays d’Amérique latine et centrale pâtissent sévèrement du ralentissement du commerce mondial. Pourtant, le sous-continent sud-américain n’est pas dépourvu d’avantages et entend jouer sa carte dans la nouvelle donne économique post-crise financière.

Il y a encore quelques mois, certains experts prédisaient que l’Amérique latine pourrait échapper à la récession mondiale et parviendrait à maintenir un rythme de croissance constant en 2009. À l’exception de l’Équateur et du Salvador, aux économies dollarisées, le blindage des systèmes bancaires des pays latino-américains a permis aux Bourses du sous-continent de se prémunir contre tout risque d’intoxication provenant des actifs nord-américains. Néanmoins, les premiers symptômes de ralentissement économique ont commencé à se manifester au dernier trimestre de 2008 avec la baisse des exportations et la chute des investissements étrangers. Selon le CEPAL (la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes ), les exportations connaissent une baisse de 9 à 30 % selon les pays depuis le début de l’année 2009. De plus, la chute du prix des matières premières et du pétrole réduit considérablement les recettes tirées de l’extraction des richesses du sous-sol continental.

 

La crise économique et sociale qui frappe les pays occidentaux touche également de manière indirecte les économies latino-américaines via la diminution des « remisas », l’argent envoyé par les émigrés à leur famille restée au pays. Selon la BID, la Banque interamericaine de développement, ces sommes ont représenté en 2008 près de 70 milliards de dollars (52 milliards d’euros), soit une part importante du PIB de certains pays de la région. Au Mexique, le gouvernement prévoit pour 2009 une diminution des remises de l’ordre de 2,5 milliards de dollars, soit 1,8 milliard d’euros. À cela s’ajoute une dépréciation galopante du peso mexicain qui dépasse les 30 % depuis le deuxième semestre 2008. Après avoir connu une croissance soutenue de plus de 5 % durant six années, l’économie du sous-continent est en passe de caler. La Banque mondiale a d’ailleurs revu à la baisse ses estimations pour l’année 2009 concernant la croissance des pays de la zone, passant de 3,9 % à 0,3 %. Selon les prévisions du Fonds monétaire international, seuls le Chili et le Pérou connaîtront une croissance positive cette année avec respectivement + 0,1 % et + 3,5 %.

 

Les ressources naturelles à la rescousse

Malgré ces signes de fragilité, l’Amérique latine continue pourtant d’attirer les investissements étrangers. Selon Alicia Bárcena, secrétaire exécutif de la CEPAL, « l’investissement étranger direct a connu en 2008 une hausse de 8 % dans certains pays, en particulier ceux qui possèdent de grandes richesses minières, le Pérou, le Chili, la Bolivie et le Brésil en tête ». À la frontière argentino-chilienne, dans la cordillère des Andes, le mégaprojet Pascua-Lama – une mine à ciel ouvert d’extraction d’or, d’argent et de cuivre située à plus de 4 000 mètres d’altitude et de 3 000 km2 – vient d’être mis en chantier. À la manette, le groupe canadien Barrick Gold Corporation, qui investit la somme de 3 milliards de dollars, soit 2,2 milliards d’euros, dans l’exploitation de mines d’or et d’argent. Environ 14 500 emplois seront créés pour mener à bien les travaux d’aménagements, prévus jusqu’en 2012. Une fois exploitable, le site emploiera 7 000 travailleurs, assurent les responsables argentins. Au Pérou, la découverte de gisements d’or noir dans le nord du pays a incité le groupe franco-britannique Perenco à investir 2 milliards de dollars, soit 1,5 milliard d’euros, dans des projets d’infrastructures pétrolières. Nouveau centre d’intérêt des investisseurs du fait des perspectives suscitées par la voiture électrique, le lithium est l’objet de grandes convoitises sur le sous-continent. L’industriel français Bolloré a récemment projeté d’investir 1,2 milliard de dollars, soit 881 millions d’euros, dans le désert de sel d’Uyuni, au sud-ouest de la Bolivie, où un gisement important de ce précieux métal mou a été décelé. Le groupe coréen LG et les Japonais Mitsubishi et Sumitomo sont également en lice pour l’octroi de la licence d’exploitation, ce qui laisse entrevoir une future montée des enchères.

 

Profitant de ses richesses énergétiques et agricoles pour attirer les investisseurs, les pays d’Amérique latine tentent également de négocier de nouveaux partenariats avec « les pays émergés », tels la Chine, l’Inde et Singapour. L’empire du Milieu est récemment devenu le premier partenaire commercial du Brésil, surclassant les États-Unis. Les exportations de pétrole en direction de la Chine ont fait un bond surprenant de 230 % en avril dernier. Le Pérou, qui exporte principalement du cuivre, du zinc, du fer et du plomb en Chine, a vu ses ventes exploser de 19,7 % au mois de mars. La raison de cet affolement ? Le géant asiatique achète massivement lorsque les prix des matières premières sont au plus bas et constitue d’exubérants stocks. Mais au-delà du simple accord « matières premières contre dollars », les gouvernements latino-américains voudraient voir Pékin investir dans des secteurs clés du développement. De leur côté, les autorités chinoises se sont dites intéressées par les opportunités qu’offrent les secteurs aéronautique, pharmaceutique et informatique en Amérique latine.

 

Une nouvelle dynamique
Selon une majorité d’experts, avec une population jeune, une classe moyenne en plein essor et d’importantes réserves publiques, les pays latino-américains offrent un potentiel de croissance capable de limiter les effets de la crise. Preuve en est, les grandes multinationales présentes sur le sous-continent continuent de voir leurs profits décoller. Pour les entreprises espagnoles en difficulté sur leurs terres, l’Amérique latine est devenue un marché refuge, phénomène improbable il y a encore quelques mois. Le groupe Endesa a vu son chiffre d’affaires grimper de 142 % au premier trimestre 2009 grâce à l’augmentation de ses ventes outre-atlantique, Sur la même période, Telefonica, géant des télécommunications espagnoles, a compensé les pertes concédées en Espagne (- 4,2 %) par les résultats réalisés en Amérique latine (+ 4,8 %). Dans ce contexte, la seule crainte demeure l’augmentation du chômage, conséquence directe de la baisse des exportations et de la production industrielle. Le CEPAL pronostique pour l’année 2009 une hausse importante des taux de chômage dans l’ensemble des pays de la zone : ainsi, les chiffres devraient passer de 7,6 % à 9 % dans la région. Pour endiguer ces hausses, les gouvernements y vont chacun de leur plan de relance et de soutien à l’économie. Au total, 60 milliards de dollars, soit quelque 44 milliards d’euros, sont déjà débloqués pour soutenir l’emploi et moderniser les infrastructures sur tout le sous-continent.

 

Déficitaires en termes d’équipement, les pays latino-américains ont conscience que le manque de compétitivité de leurs entreprises dépend en grande partie de ce retard. Dans les transports et les télécommunications, une révolution des infrastructures est déjà en marche. Pour financer ces grands travaux créateurs d’emploi, certains font appel à la BID et à la Banque mondiale, mais la tendance à l’intégration financière régionale et la méfiance à l’égard des institutions bancaires de Washington poussent de nombreux responsables politiques à encourager des mécanismes de solidarité latine, tels le Banco del Sur. Réformes fiscales pour attirer les investisseurs étrangers, renégociations des partenariats commerciaux, travaux d’infrastructures, sauvegarde des emplois et intégration régionale sont les défis à relever pour les responsables politiques de la région. Défis économiques auxquels s’ajoute un défi politique. L’agenda électoral du sous-continent prévoit 17 élections, dont 13 présidentielles, entre 2009 et 2011. Dans les colonnes du quotidien espagnol El País, Luis Alberto Moreno, président de la BID, déclarait il y a peu que « le plus à craindre pour l’Amérique latine serait une recrudescence du populisme et du protectionnisme ». Aux peuples de jeter les dés.