Le rythme de l’innovation redéfinit les frontières entre l’esprit et la machine. Des technologies autrefois réservées à la science-fiction font désormais partie du développement réel. Les interfaces cerveau-ordinateur (BCI), les neuro-implants et les outils non invasifs de surveillance cérébrale progressent rapidement, permettant aux individus d’interagir avec des systèmes numériques uniquement par la pensée. Des entreprises comme Neuralink, Apple, Samsung et Meta, aux côtés de grandes institutions de recherche, accélèrent le développement de systèmes capables d’interpréter et d’exploiter les signaux neuronaux. Ce bouleversement soulève une question juridique urgente : comment protéger des idées à valeur commerciale si elles peuvent exister publiquement sans jamais être exprimées — ni volontairement, ni même consciemment, que ce soit à l’oral ou par écrit ?

Les BCI permettent déjà à des individus de contrôler des dispositifs numériques – curseurs, claviers, prothèses robotiques – par la seule force de leur pensée. Neuralink a notamment démontré que des utilisateurs paralysés pouvaient naviguer sur des interfaces ou jouer aux échecs grâce à l’entrée neuronale. Ce niveau d’interaction, que Neuralink appelle «Télépathie», nous rapproche d’un monde où la communication cerveau-machine devient fluide – et où la communication de cerveau à cerveau pourrait suivre rapidement.

D’autres organisations contribuent à ce paradigme émergent. L’EPFL (Suisse) a mis au point une BCI miniaturisée traduisant l’activité neuronale en texte écrit, permettant de communiquer sans parler ni taper. La DARPA (États-Unis) explore la reconnaissance de la parole imaginée via les signaux cérébraux. Parallèlement, Samsung et Apple intègrent des fonctionnalités de contrôle neuronal à leurs appareils grand public, annonçant un futur où téléphones, lunettes connectées et systèmes domestiques répondront à des signaux cognitifs.

Un défi pour la protection des secrets d’affaires

Ces avancées ouvrent des perspectives extraordinaires, mais elles comportent aussi des risques sans précédent. La possibilité d’extraire des idées directement du cerveau remet en question les modèles traditionnels de protection du secret des affaires. Le principe juridique de confidentialité – historiquement garanti par les contrats et une communication prudente – est fragilisé lorsque des pensées peuvent être captées, interprétées et transmises sans consentement.

Il ne suffit plus de conseiller aux innovateurs de «garder le secret». À l’ère des neurotechnologies, les secrets peuvent ne pas attendre d’être exprimés. Ils peuvent être extraits dès la phase préverbale, antérieure à toute formulation. Cette nouvelle réalité nous oblige à instaurer une catégorie juridique inédite : les secrets d’affaires neurocognitifs.

Que sont les secrets d’affaires neurocognitifs ?

Les secrets d’affaires neurocognitifs désignent des informations issues de l’activité cérébrale ayant une valeur économique, mais qui existent à l’état cognitif avant toute expression. Cela peut inclure des pensées liées à des inventions, des stratégies commerciales, des concepts de design ou des théories scientifiques – avant qu’elles ne soient écrites, formulées ou formalisées. Sans reconnaissance juridique, ces pensées sont exposées aux risques posés par les technologies de capture cognitive.

Deux évolutions juridiques essentielles

Pour relever ce défi, le cadre juridique doit évoluer dans deux directions essentielles :

1. Reconnaissance de la pensée en tant qu’actif intellectuel : Les législateurs devraient envisager d’élargir la définition des secrets d’affaires protégeables afin d’y inclure les idées non exprimées, issues de l’activité cérébrale. Cela impliquerait de reconnaître les données neuronales comme une forme d’information confidentielle ou exclusive, dotée d’une valeur économique mesurable.

2. Intégration des neurodroits dans le droit des secrets d’affaires : Les neurodroits — incluant la vie privée mentale, la liberté cognitive, et la protection contre l’extraction non autorisée de données neuronales — devraient être intégrés aux cadres de propriété intellectuelle. Ces droits serviraient de garanties contre le piratage des données cérébrales, la surveillance non autorisée sur le lieu de travail, et la divulgation prématurée d’innovations cognitives.

Des implications pour tous les secteurs

Ces évolutions auraient des répercussions dans de nombreux domaines :

• En R&D, une idée mentale prématurément captée pourrait ruiner l’avantage concurrentiel.

• En négociation stratégique, une surveillance neuronale pourrait dévoiler des intentions non exprimées.

• En entreprise, des données cognitives extraites d’employés ou d’utilisateurs pourraient être exploitées à leur insu.

Une approche globale de la protection neurocognitive

Une approche juridique complète des secrets d’affaires neurocognitifs permettrait de :

• Protéger les innovateurs contre les divulgations involontaires ;
• Empêcher l’espionnage industriel par surveillance neuronale ;
• Réguler l’usage des neurotechnologies en entreprise et pour les consommateurs ;
• Garantir aux individus le contrôle de leurs pensées et de leur exploitation.

Agir maintenant pour encadrer l’avenir

Il est crucial que juristes, législateurs, ingénieurs et éthiciens collaborent pour ne pas laisser le droit à la traîne face à la technologie. De la même manière que la révolution numérique a nécessité des lois sur la protection des données, la révolution neurotechnologique impose une protection proactive de la pensée.

En définissant et en protégeant les secrets d’affaires neurocognitifs, nous ne ferons pas que protéger des idées : nous préserverons l’essence même de l’innovation, dans un monde où l’esprit devient l’interface.

Retrouvez également notre précédente publication vidéo,  Liliana Bakayoko Avocat : Au-delà des frontières et à l’ère du numérique, nous optimisons votre réussite

Pour en savoir plus, rendez-vous sur : LILIANA BAKAYOKO AVOCAT & sur Linkedin