« Le continent noir est synonyme de grandes opportunités économiques. Non pas dans un avenir encore lointain, mais à l’heure où nous parlons », a affirmé Patrick O’Flaherty, président de la division courtage du groupe bancaire d’investissement African Alliance, le 19 mars dernier, à l’ouverture du Sommet de l’investissement en Afrique. L’événement, qui s’est tenu à Londres, était l’occasion de donner la parole à un large panel de responsables du secteur privé du continent africain dont le potentiel de développement n’en finit plus de s’affirmer.
Les perspectives à long terme séduisent les investisseurs de plus en plus en nombreux à remarquer que les leviers de croissance les plus impressionnants ne se limitent pas aux économies émergentes de l’Asie. « Le continent africain est entré dans une ère nouvelle pleinement intégrée à l’économie de marché. D’ici 2020, ses dépenses de consommation augmenteront de 60% », souligne Patrick O’Flaherty. Et l’attractivité locale ne concerne pas uniquement les promesses futures. La croissance forte se vérifie dès aujourd’hui. Le regard traditionnel porté par les dirigeants sur l’Afrique, axé sur ses ressources naturelles précieuses, change à vue d’œil. L’intérêt se focalise de plus en plus sur l’immense marché qu’elle représente dans une grande variété de filières. L’automobile fait partie des domaines en forte expansion. En Afrique du Sud, cette industrie emploie 360 000 personnes et s’inscrit dans la politique nationale de diversification de l’économie. De nombreuses entreprises, dont des multinationales célèbres, s’implantent dans le pays. Le gouvernement s’est fixé un objectif ambitieux: produire 1,2 million de véhicules d’ici 2020. Le groupe Honda figure parmi les acteurs majeurs ayant misé sur le continent noir. L’entreprise a récemment annoncé envisager l’ouverture d’une importante usine de production à Dar es Salaam, en Tanzanie, dans le but d’assembler et vendre des véhicules pour les marchés d’Afrique de l’Est.
« Les dépenses en biens technologiques, comme les téléphones mobiles ou d’autres équipements récents, forment également une composante nouvelle essentielle qui bouleverse l’économie », constate Patrick O’Flaherty. Là encore, l’Afrique du Sud est souvent citée comme un symbole de la croissance de la région. Le marché de l’électronique de consommation représente 7,1 milliards d’euros en 2012, et ce chiffre passera à 10,3 milliards d’euros, d’ici 2016. Un citoyen consacre environ 720 euros par an à des équipements de ce type. Par rapport à leur revenu annuel moyen, les Sud-Africains dépensent plus pour ces produits que leurs homologues européens, américains et japonais. Le Nigeria attire lui aussi l’attention des professionnels du domaine en raison de l’explosion sur le marché local des produits technologiques, des smartphones aux télévisions de dernière génération. Les ventes au détail de produits électroniques ont augmenté de 22% entre 2003 et 2008, et les courbes de croissance montrent une accentuation. D’autres domaines, comme l’électroménager, où la hausse des ventes dépasse 11% entre 2003 et 2008, sont aussi à la fête. Et cette augmentation a également tendance à s’accélérer.
L’essor de la consommation ne se résume pas à quelques pays privilégiés. Les ventes de PC en Afrique de l’Est ont bondi de 76% en 2011. La République démocratique du Congo et l’Angola révèlent aussi une forte croissance, tout comme une large partie de l’Afrique de l’Ouest, incluant le Sénégal et le Ghana. À l’Est, le Kenya constitue un autre marché très prometteur. Les ventes de téléphones mobiles y ont augmenté de 200% depuis 2009.
Parmi les acteurs extérieurs qui investissent le continent noir, les entreprises asiatiques effectuent une percée impressionnante, la Chine étant largement représentée dans cette évolution. Une grande proportion de ses exportations se tourne vers l’Afrique. Elles représentent plus de 45 milliards d’euros par an et sont essentiellement basées sur les produits technologiques. Ainsi, 40% du matériel électronique et de communication exporté de Chine est acheminé vers l’Afrique. Le Japon et la Corée du Sud sont également des sources de produits importantes dans ce domaine. Mais les sociétés occidentales ne sont pas non plus en reste. Les entreprises américaines et européennes exportent massivement leurs marchandises vers le continent noir. Les ordinateurs Dell et les appareils Bosch sont omniprésents sur les marchés locaux. « On parle beaucoup de la Chine qui se positionne sur le potentiel africain, mais n’oublions pas que 83% des investissements directs étrangers proviennent des pays de l’OCDE », rappelle Patrick O’Flaherty.
La chute des prix a d’abord joué un rôle central dans l’augmentation de la demande. Les coûts des lots technologiques ont affiché une baisse constante pendant plusieurs années, rendant les produits plus abordables pour le consommateur. Ensuite, l’explosion démographique du continent a permis un effet de masse qui est loin d’être terminé. On dénombre aujourd’hui plus de 1 milliard d’individus sur le continent. En 2030, la population passera à 1,3 milliard, puis dépassera les 2 milliards en 2050. Il s’agit d’un élément d’attractivité majeur. « Le potentiel est présent pour les entreprises, mais l’accès au financement reste aujourd’hui un problème important, et c’est là que les investisseurs étrangers peuvent jouer un rôle crucial », précise Saskia Reus-Makkink, chargée des relations avec les investisseurs chez VC4Africa, une société spécialisée dans l’accompagnement d’entreprises africaines et la recherche de financement.
L’Afrique dispose d’un nombre de microentreprises bien plus important que les autres régions du monde. « Ces sociétés éprouvent souvent des difficultés à grandir, faute de moyens. Il existe pour l’instant trop peu de PME de quelques dizaines de salariés », poursuit Saskia Reus-Makkink. Une situation qui pourrait changer à l’avenir avec la confiance auprès des investisseurs que peuvent susciter certains indicateurs, comme l’explosion démographique ou l’urbanisation croissante. À l’heure actuelle, 52 villes abritent plus de 1 million d’habitants et 40% des Africains vivent en ville. En 2050, cette part dépassera les 60%. Un développement important pour la consommation, car les citadins tendent à avoir des revenus plus élevés. La forte concentration de personnes dans les villes améliore également l’accès des clients aux produits et offre aux entreprises davantage de possibilités de commercialisation.
Autres atouts de l’Afrique: les réglementations commerciales s’assouplissent et les environnements d’affaires s’améliorent, en partie en raison d’une meilleure stabilité politique globale. Les particularités du continent comme les conditions climatiques peuvent donner naissance à des marchés spécifiques peu répandus dans d’autres régions du monde. Dans le secteur informatique, la société Samsung a développé un ordinateur portable à énergie solaire. Il a été introduit sur le marché kenyan à l’automne 2011 et s’avère d’autant plus pertinent que l’approvisionnement en électricité peut être intermittent dans bon nombre de pays africains. Samsung a également conçu des équipements spéciaux pour le marché local, tels que des téléviseurs et climatiseurs protégés des coupures d’électricité et de l’humidité.