Au sein des entreprises familiales, seuls 42 % des patrons déclarent que gagner de l’argent constitue leur motivation principale. Un pourcentage qui passe à 52 % chez les responsables de groupes cotés en bourse. « Pas étonnant », estime Stéphane Salini, coprésident de la société Salini, spécialisée dans les services pour l’immobilier. « Dans une structure familiale, l’histoire du groupe importe davantage. On apprécie son évolution, ce qu’il apporte à l’entourage, à son quartier, à sa ville. » C’est précisément ce sens des valeurs qui est à l’origine d’approches stratégiques plus réfléchies.
« Même quand les entreprises non familiales ont une vision claire à long terme et des projets précis dans le temps pour arriver aux objectifs, elles sont souvent contraintes de revoir leur copie pour des raisons de rémunérations d’actionnaires », poursuit le dirigeant. « Les sociétés familiales ont généralement une vision à long terme qui n’est pas entravée par des stratégies à court terme », remarque Joachim Schwass, professeur d’économie à l’IMD (International Institut for Management Development) de Lausanne, spécialisé dans les stratégies d’entreprises familiales.
Dans de nombreuses sociétés détenues par plusieurs acteurs, la direction se voit dans l’obligation de rendre compte de manière trimestrielle à ses actionnaires qui, souvent, exigent un rendement annuel de 15 à 20 %. « Ces contraintes de rentabilité à court terme peuvent véritablement mettre à mal des projets à long terme, aussi judicieux soient-ils », regrette Joachim Schwass. L’exemple du groupe Carrefour qui, insatisfait par son niveau de rentabilité, a envisagé de se retirer du marché chinois, est particulièrement éloquent sur ce plan. Alors que le secteur de la distribution forme l’un des domaines d’activité les plus prometteurs en Chine, l’opération aurait suscité de multiples controverses.
En plus du management axé sur le long terme, qui constitue le fer de lance des entreprises familiales, bon nombre d’analystes pointent du doigt une meilleure adéquation entre les intérêts du manager et ceux des actionnaires pour expliquer leurs bonnes performances. Ils relèvent également une meilleure concentration sur les activités de base et sur le cœur de métier.
Le capital patient
Les entreprises familiales privilégient le développement dans la durée. Elles recrutent prioritairement dans les réseaux proches environnants, fidélisent le personnel, travaillent avec des fournisseurs attitrés de longue date. Plus de 80 % de ces structures ont un turn-over de moins de 5 %. On estime que plus de 50 % des recrutements proviennent directement des réseaux proches des chefs d’entreprise.
Le critère principal pour ce qui est du choix des fournisseurs est généralement la qualité, bien avant le niveau des prix. Une atmosphère stable qui a également comme conséquence la proximité et la fidélisation des clients. « La réactivité quant à la prise de décision est un autre atout des entreprises familiales. À la tête de notre groupe, nous avons un comité exécutif composé de cinq personnes qu’il est très facile de réunir. La plupart de nos décisions sont prises en quelques minutes. Lorsqu’il faut passer devant des actionnaires, en commission et réceptionner leurs validations, le processus est bien entendu très retardé », décrit Stéphane Salini. Cette même souplesse d’organisation constitue également un avantage dans les situations qui nécessitent un retrait rapide, par exemple si un produit n’est pas bon.
Pour Joachim Schwass, les sociétés familiales sont aussi avantagées, car elles réfléchissent en termes de prochaine génération : « On pense d’abord à bâtir pour le futur, à agir en fonction de ce qui est le mieux pour les enfants et l’avenir du marché, alors que la plupart des autres entreprises élaborent leurs stratégies à un horizon de cinq ans dans le meilleur des cas. » Par ailleurs, le chevauchement entre les rôles de propriétaire et directeur est généralement perçu comme un atout.
« Dans les sociétés non familiales, les propriétaires ont tendance à surveiller les managers. Dès lors, ceux-ci se sentent mal à l’aise, ce qui provoque parfois des conflits internes », poursuit le professeur. Le schéma des entreprises familiales les aiderait ainsi à avoir un meilleur discernement de leurs propres affaires, ce qui expliquerait leur faible recours à des consultants extérieurs. En Allemagne, la grande majorité des entreprises industrielles sont familiales. La propriété est vue comme la valeur essentielle de l’entrepreneuriat.