Le Serious game, un outil où se côtoient différentes expertises métier

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Quel rapport y a-t-il entre World of Warcraft, le jeu vidéo de loisir développé par Blizzard Entertainment pour Vivendi Games, et Conduire un entretien de vente, le Serious Game développé par Daesign pour Renault Academy, le centre mondial de formation du constructeur automobile ? Presque aucun. Bien sûr, dans les deux cas, des joueurs s’immergent dans un univers virtuel 3D temps réel avec lequel ils interagissent grâce à l’ordinateur. Dans les deux cas, les jeux sont sur DVD, sur Internet ou sur smartphone. On retrouve également la même chaîne d’acteurs : le studio de création qui développe le jeu avec ses ingénieurs et ses graphistes, et l’éditeur qui commandite la réalisation et en assure la commercialisation auprès des distributeurs qui revendent le jeu aux centrales d’achat puis, indirectement, aux détaillants.

 

Mais ce qui fait la grande spécificité du Serious Game, c’est l’expertise professionnelle qui va permettre à l’usager d’acquérir des connaissances métier et fera l’objet d’une évaluation pour passer à l’étape suivante. Sans l’expertise profonde des différents métiers de l’armée de terre, ainsi que des théâtres d’opération, le studio Script’Games n’aurait ainsi jamais pu réaliser pour l’armée américaine America’s Army, le premier véritable Serious Game. De même, Pulse, de BreakAway, et Interactive Trauma-Trainer, de TruSim – des jeux pour former le personnel médical – n’auraient pu voir le jour sans l’expertise des chirurgiens au sein même des studios. « Pour cette raison, le secteur des jeux sérieux est extrêmement fragmenté. Le studio qui se positionne dans la santé aura de grandes difficultés à exercer dans l’aéronautique ou l’automobile », analyse Laurent Michaud, consultant spécialisé dans les loisirs numériques à l’Idate, qui a publié en 2008 une étude internationale sur le Serious Game. « Il faut scénariser les mécanismes métier dans des conditions réelles. L’expertise métier doit être intégrée dans le logiciel. C’est une affaire de spécialistes. »

 

C’est notamment le cas dans le secteur aéronautique. Des sociétés telles que CAE, Oktal, Operantis, Thales ou Vega proposent des solutions de e-learning. De son côté, Operantis recourt au moteur 3D temps réel de Vertice pour élaborer et concevoir des Serious Game de formation destinés aux pilotes d’avion, ainsi qu’aux techniciens et ingénieurs de maintenance aéronautique : « Outre nos concepteurs pédagogiques, nous avons deux pilotes, trois ingénieurs et deux techniciens en maintenance aéronautique, deux ingénieurs en mécanique générale, un ingénieur dans le ferroviaire, un autre dans le spatial et encore un autre dans le nucléaire. Au total, près d’un tiers de nos effectifs sont des spécialistes métier. C’est le prix à payer pour nous positionner sur différents secteurs industriels », précise Jacques-André Dupuy, le directeur général. « Certes, l’investissement est élevé. Mais de cette manière, nos experts diplômés et certifiés par les autorités compétentes s’entendent très rapidement avec nos clients qui ont, évidemment, des spécialisations bien plus élevées que les nôtres. On arrive ainsi à concevoir des produits de formation pertinents. » Tous les clients d’Operantis sont internationaux. Par exemple, le jeu sérieux réalisé avec SuperJet International pour les avions Sukhoy permet d’entraîner les pilotes en amont du simulateur de vol pour 100 fois moins cher !

 

Ce qui intéresse de nombreuses compagnies aériennes comme El Al, Finnair, Saudi Arabian Airlines, Royal Air Maroc… « Surtout, on peut simuler des pannes en vol, des départs de feu. Or, dans la réalité, c’est impensable, car il est interdit de provoquer une panne sur un avion en vol ! », reprend Jacques-André Dupuy. « Dans un cockpit virtuel, on enseigne au pilote toute la procédure pour résoudre la panne ou l’incendie. On analyse aussi toutes ses réactions. Ce qui est formateur. » Ce processus et le contenu pédagogiques sont encore plus poussés pour les agents de maintenance. Operantis a élaboré des procédures d’identification des pannes, ainsi que des processus de démontage et de remontage des pièces pour toute la gamme ATR d’EADS/Finmeccanica, pour Eurocopter, Airbus Training et pour Superjet International, une société italienne qui prend en charge le support de maintenance du Sukhoy 100. « Il faut 6 à 7 mois de travail pour élaborer le Serious Game concernant un modèle d’avion dans sa gamme. Et la taille d’un projet varie de 500 000 à 1 million d’euros », indique le directeur général d’Operantis. Une taille de budget qui correspond à des projets informatiques stratégiques.