L’Allemagne est minée par la pénurie d’apprentis

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À l’automne 2011, environ 12 000 jeunes Allemands n’ont pas trouvé de place en apprentissage. Ce chiffre de la BA (Bundesagentur für Arbeit), l’agence fédérale pour l’emploi, est six fois plus important selon les syndicats. Dans le même temps, la BA annonçait 30 000 places vacantes pour les apprentis, même 75 000 selon la DIHK (la Confédération allemande des CCI). La situation semble paradoxale alors que l’économie allemande fait montre d’un dynamisme fort et que les entreprises interpellent les autorités sur le grave manque de main-d’œuvre qualifiée. Ces mêmes entreprises sont pointées du doigt dans un rapport ministériel dénonçant la réduction de leur engagement dans la formation professionnelle: seules 22,5% d’entre elles ont formé des apprentis en 2010, contre 23,5% un an plus tôt; leurs représentants se disculpent en mettant l’accent sur l’inadaptation du marché de l’apprentissage aux besoins rencontrés.

 

Le système dual, le modèle allemand de formation par l’apprentissage en entreprise, aurait-il montré ses limites? Ces annonces et ces données contradictoires révèlent en tout cas des ratés dans ce système de formation professionnelle présenté jusque-là comme la référence en Europe. Relancé en 2004 par un pacte pour l’apprentissage entre les entreprises et l’État (les syndicats de salariés se sont abstenus), le système dual connaît aujourd’hui un nouvel arrêt. « En 2004, la situation était inverse: nous manquions d’apprentis, observe ainsi Thilo Pahl, expert de la formation professionnelle auprès de la DIHK. Nos entreprises ont tenu les engagements du pacte et créé 71 000 places. De plus, 43 000 nouvelles entreprises se sont portées volontaires pour former des jeunes. Or, aujourd’hui, ces entreprises nous demandent: avez-vous des candidats apprentis pour nous? ».

 

La chute de la natalité depuis la réunification est la cause première du décalage entre l’offre et la demande. Le recul démographique est particulièrement criant à l’Est où, depuis 2005, le nombre de jeunes quittant l’école chaque année a été divisé par deux. L’Ouest est en sursis et s’attend à rencontrer le même déclin d’ici cinq ou dix ans. Le nombre des 17-25 ans diminuera de 20% d’ici à 2030. En outre, les jeunes Allemands ont tendance à opter pour des études secondaires longues (1) et des études universitaires. Alors que seulement 35% des jeunes d’une classe d’âge obtenait l’Abitur (équivalent du baccalauréat français) en 2005, ils sont aujourd’hui 46% à l’avoir décrocher. Le système scolaire allemand ne contribue plus à pourvoir les entreprises en jeunes à former. Les deux cycles courts du secondaire (2), conçus à l’origine pour être des viviers d’apprentis, ne remplissent plus leur rôle, le niveau scolaire ne correspondant plus aux exigences du monde économique. Toutefois, tous les secteurs et tous les Länder ne sont pas logés à la même enseigne. Les candidats à l’apprentissage se pressent dans les voies royales que sont l’électronique, la construction mécanique ou encore la mécatronique (la combinaison synergique et systémique de la mécanique, de l’électronique et de l’informatique). « D’autres branches, comme la logistique ou la restauration, peinent à trouver des apprentis », constate Thilo Pahl.

 

Les syndicats de salariés présentent une analyse différente. « La métallurgie ne dispose que d’un taux d’apprentissage de 5,5%, déplore Klaus Heimann, expert de la formation professionnelle d’IG Metall (syndicat de la métallurgie). Or, pour que la profession se régénère, il lui faudrait au minimum 7,7% d’apprentis. » Pour les représentations des salariés, il n’y a pas de places excédentaires au niveau global, juste une mauvaise adéquation entre l’offre et la demande. Car, comme le remarque Klaus Heimann, « à l’instar de certains métiers qui ont une mauvaise image de marque, certaines régions souffrent, elles aussi, de désaffectation ». Tandis que les entreprises de Rhénanie-du-Nord Westphalie n’éprouvent aucune difficulté à recruter, celles de certaines régions désertifiées comme le Mecklembourg-Poméranie occidentale doivent se mobiliser. Pour elles, c’est une question de survie. Pour les Länder, il en va de la pérennité du tissu économique.

 

Pour tenter de contrer l’exode des jeunes dans l’ex-Allemagne de l’Est, Werner Kruse, chef du personnel des chantiers navals Neptun à Rostock, a participé début mars à un salon de l’apprentissage organisé par la IHK (CCI). Il en est reparti avec quinze candidatures prometteuses. Les chantiers navals, qui forment dans quinze métiers de la métallurgie, emploient en moyenne une cinquantaine d’apprentis. « Notre branche jouit d’une moins bonne réputation que les grands groupes industriels. On s’y salit les mains! Mais nous sommes l’un des gros employeurs de la région et nos cahiers de commandes sont remplis », ajoute Werner Kruse. Helga Rusin, chargée de la formation professionnelle à la IHK de Rostock, confirme que ce marketing offensif des entreprises porte ses fruits. Reste que ce jour-là, les hôteliers et les restaurateurs de cette région touristique sont repartis les mains vides. « 1500 emplois restent vacants et les entreprises ne parviennent pas à recruter. Ce n’est pourtant pas faute d’efforts. Elles paient mieux que la convention collective et se sont même regroupées pour offrir des logements à leurs apprentis, mais rien n’y fait. Sur la presqu’île de Rügen, les chefs d’entreprise ont même pensé à embaucher des jeunes espagnols au chômage« , décrit-elle.

 

Hormis ces actions ponctuelles, il ne reste plus aux entreprises qui veulent assurer la relève qu’à « repêcher » les jeunes en échec scolaire. C’est ce que font déjà des groupes industriels comme BASF, qui a mis en place des modèles de stages de « préapprentissage » à l’attention des jeunes en rupture avec l’école. Cette année d’immersion totale dans le monde de l’entreprise – rémunérée 216 euros par mois par l’État – débouche, dans 60% des cas, sur un apprentissage dans l’entreprise. D’autres structures privées s’investissent dans le soutien scolaire. Elles sont plus de 25% à dispenser des cours de rattrapage aux 20% des candidats ne satisfaisant pas au niveau requis. « L’entreprise allemande cultive la tradition de l’apprentissage. Elle se sent responsable du jeune qu’elle accueille 4 jours par semaine », déclare Thilo Pahl pour expliquer cette démarche. Et Helga Rusin de voir le côté positif: « La pénurie d’apprentis permet aux jeunes qui ont de moins bons résultats scolaires de pouvoir exercer le métier de leur rêve! »

 

Critiquée par l’État, qui préfère la prévention, cette remise à niveau des jeunes en difficulté est en revanche soutenue par les syndicats de salariés. Ils vont même plus loin en menant des actions en faveur des formateurs. « Il est urgent de donner à ces maîtres de formation les instruments pour appréhender des jeunes au comportement difficile », expose Klaus Heimann. Depuis 2011, un programme de l’IG Metall prévoit que 15 000 formateurs suivent chaque année cette qualification complémentaire. Tant que les réserves ne sont pas épuisées, les syndicats ne veulent pas entendre parler de pénurie d’apprentis. Hormis ces jeunes en marge de l’école, IG Metall vise un deuxième groupe de population qui pourrait être (ré-)intégré au monde de l’entreprise: 1,5 million de jeunes adultes chômeurs sans qualification, qui représentent 15% des Allemands âgés entre 20 et 30 ans.

 

(1) Gymnasium: l’équivalent du collège et du lycée, sanctionné par l’Abitur (Bac).

(2) Hauptschule et Realschule représentent respectivement 9 et 10 ans de scolarité.

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