Toutes les entreprises européennes semblent s’être données rendez-vous en Libye », s’amuse Andrés Savall, le gérant de Gicalla, une entreprise espagnole vendant des bétonnières. « Mais j’ai tout de même l’impression que nous allons y trouver beaucoup d’opportunités », explique-t-il à son retour du voyage organisé à Tripoli par la Chambre de commerce de Madrid fin octobre pour douze entreprises. Sa société, attirée par l’exonération de taxes douanières dont bénéficient ses machines, en est à sa seconde visite en moins d’un an. « Les perspectives semblent bonnes. Nous y sommes donc retournés pour renforcer les premiers contacts. » Selon les organisateurs de la mission, l’avantage fiscal n’est qu’un des multiples attraits de la Libye. « C’est l’une de nos zones prioritaires », estime Esther Calvo, responsable du département Commerce extérieur de la Chambre de Madrid.
« L’Espagne tisse des liens spéciaux avec l’Afrique du Nord, et si les relations ne sont pas aussi solides avec la Libye qu’avec le Maroc, nous remarquons tout de même un grand intérêt envers nos entreprises », précise-t-elle. Une proximité qui se ressent aussi au niveau culturel et peut aider l’implantation des Espagnols, selon l’architecte Horacio Fernandez de la Hoz qui faisait là son quatrième voyage en six mois : « Nous partageons une même culture architecturale méditerranéenne et les rapports personnels sont encourageants ». Au-delà de ce constat, c’est évidemment le dynamisme de la croissance libyenne qui aiguise les appétits espagnols. La Chambre de Madrid insiste ainsi sur les 14,5 milliards d’euros destinés l’an dernier aux projets de construction et de développement : oléoducs, logements, infrastructures, mais aussi investissements dans l’éducation, la santé, le transport maritime… « La Libye est engagée dans une période de transition importante : après quarante ans au pouvoir, le colonel Kadhafi a renoncé à sa politique isolationniste et recherche une forme de réinsertion internationale qui se traduit aussi au niveau économique », explique Juan Carlos Martínez Lázaro, économiste de l’IE Business School.
Pour son développement, elle peut compter sur une mine de ressources naturelles – 76 millions de mètres cubes de gaz naturel sont extraits et 1,7 million de barils de pétrole produits chaque jour – dont l’exploitation devrait aller crescendo. Son taux de croissance devrait se maintenir au-delà de 5 % pendant plusieurs années. « La Libye sera l’un des grands acteurs de la zone dans un futur proche », prévoit Juan Carlos Martinez, comparant son modèle de croissance à celui des pays du Golfe persique. « Elle dispose de grandes richesses naturelles, mais cherche des alternatives pour ne pas vivre uniquement du pétrole ». Quant à ceux qui s’inquiètent des coups d’éclat légendaires du leader libyen, l’économiste répond que son fils Saif Al-Islam, successeur désigné, semble vouloir s’inscrire dans la continuité de cette nouvelle direction, « une main de fer politique combinée avec une libéralisation économique contrôlée ». Le développement de la classe moyenne et l’ouverture de ce marché potentiellement juteux a donc de quoi intéresser les entreprises madrilènes, d’autant que l’Espagne exporte encore peu vers la Libye, à hauteur de 421 000 euros en 2008. Elles devront cependant lutter contre les liens historiques tissés avec l’Italie et l’arrivée en force d’autres puissances européennes, des États-Unis et des pays d’Asie du sud-est. En outre, la mission économique espagnole à Tripoli (Oficina Económica y Comercial de España) attire l’attention sur les limitations d’un marché domestique d’à peine six millions d’habitants. Tous les observateurs s’accordent par contre sur les opportunités offertes à l’Espagne dans la construction, un secteur-clé de la croissance espagnole jusqu’à la récente crise, alors que la Libye doit développer ses infrastructures.
À la veille de la mission commerciale, le grand groupe de BTP espagnol Sacyr Vallehermoso annonçait avoir remporté deux contrats d’urbanisation pour 300 millions d’euros en partenariat avec une entreprise publique libyenne, alors qu’il travaille déjà à l’exécution d’un précédent contrat de 400 millions d’euros. Rien étonnant à ce que plus de la moitié des sociétés de la mission d’octobre soit spécialisée dans ce secteur. Mais le cas Sacyr Vallehermoso soulève un point contraignant : l’obligation pour les investisseurs étrangers de s’allier avec des entreprises locales pour pouvoir s’introduire sur le marché. Parmi les autres difficultés de cette destination, la mission économique espagnole à Tripoli évoque le manque d’informations fiables, ses services ayant dû croiser des statistiques internationales pour établir un panorama économique cohérent. « La Libye est un marché quelque peu particulier, notamment parce que la grande majorité des contacts se font au niveau gouvernemental, et les formalités administratives peuvent être compliquées », reconnaît Leyre Gil, de la Chambre de Madrid, chargée de la mission commerciale d’octobre. « Mais sur le plan des ressources publiques, elle se situe largement au-dessus des autres pays de la région et les entreprises espagnoles n’ont jamais eu de problèmes de paiement », poursuit-elle, avant de reconnaître que « les investisseurs doivent faire preuve de persévérance ». Horacio Fernandez de la Hoz n’est pas choqué par ces délais : « On nous a dit qu’il fallait compter un an, au minimum, avant de voir si cela se concrétise. Je comprends tout à fait qu’ils veuillent s’assurer de la solidité de notre intérêt », indique l’architecte. Pour l’économiste Juan Carlos Martinez, il faudra tout de même du temps avant que la Libye ne rattrape des voisins nord-africains, comme la Tunisie, en termes de culture d’entreprise, même si « c’est lorsqu’il y a de grandes difficultés que surgissent
les grandes opportunités ».