Cette décorrélation entre le comportement des actions et la réalité économique et financière des entreprises est née de la professionnalisation des marchés. Une évolution qui conduit à constater une volatilité exacerbée du cours de certaines valeurs, pourtant très saines, pour des raisons purement techniques. François-Xavier Serraz, directeur de la Gestion Privée, nous rappelle quelques règles simples de la gestion de patrimoine.
Commerce International : Qu’est-ce qui, selon vous, produit ce décalage et que peut-on en redouter ?
François-Xavier Serraz : « Aujourd’hui, l’essentiel des transactions est entre les mains de très nombreux professionnels qui gèrent les fonds d’organismes dont la puissance financière est telle que leurs décisions sont capables d’infléchir les marchés de façon significative. Au poids de leurs décisions s’ajoutant l’accès en temps réel à l’information, toute tendance haussière ou baissière s’en trouve immédiatement – et excessivement – amplifiée par l’effet combiné de la technologie et du panurgisme, ce dernier élément venant en application de l’adage selon lequel il vaut mieux se tromper avec tout le monde qu’avoir raison tout seul ! La seconde raison tient à la prolifération des opérations réalisées sur les marchés dérivés et à l’ampleur croissante des positions à découvert à l’achat ou à la vente prises par de nombreux “hedge funds”. À la clé, le danger s’accroît de voir se développer un marché virtuel, déconnecté des réalités. »
C.I.: Les bouleversements qui perturbent les marchés depuis quelques années vous ont-ils conduit à modifier votre approche globale de la gestion de patrimoine ?
F-X.S.: « Les principes qui guident notre stratégie en la matière n’ont pas changé : la préservation et la valorisation d’un capital ne peuvent s’effectuer, de façon sûre et durable, que dans le long terme. Les années passées ont d’ailleurs confirmé – souvent douloureusement – la validité de ce principe. Il est vrai qu’autrefois, on ne plaçait en Bourse que l’argent dont on n’aurait jamais besoin, celui destiné à être transmis. Si les comportements ont quelque peu changé aujourd’hui, il n’en demeure pas moins vrai que l’argent est toujours investi dans des entreprises et que ces entreprises ont besoin de temps pour valoriser leurs activités. Nous constatons cependant que les parcours boursiers de nombre de grandes valeurs sont très décevants au regard des performances de ces entreprises, souvent pour des raisons purement techniques comme celles évoquées plus haut. Ce constat nous a conduits à modifier notre approche microéconomique pour éviter d’être piégés ».
C.I.: Par rapport à cette politique, comment déterminez-vous le type d’allocation que vous allez mettre en œuvre et à travers quel type d’approche ?
F-X.S.: « Notre approche vise à valoriser le risque d’investir (convergent avec celui d’entreprendre), ce qui implique d’aller bien au-delà des profils standards de gestion. Dans un premier temps, nous définissons avec notre client la visibilité dont il bénéficie sur les capitaux qu’il nous confie en gestion : prévoit-il de prélever une partie de ce capital et, si oui, à quel horizon ? Nous vérifions ensuite s’il est prêt à supporter des variations de cours relativement importantes, tant à la hausse qu’à la baisse, durant plusieurs mois, voire deux ou trois ans. Les réponses à ces questions nous permettront de déterminer l’allocation adéquate pour chaque client. Sachant que pour une entreprise, l’horizon normal d’un plan stratégique se situe entre 3 et 5 ans, nous considérons que 5 années représentent un horizon minimum pour un investissement en actions. En deçà de cette visibilité, nous prônerons plutôt une gestion de trésorerie à travers des placements monétaires purs ou “tiltés”, c’est-à-dire dans lesquels un petit pourcentage d’actifs peut être consacré à des opérations d’arbitrage, ou encore des produits obligataires. En tout état de cause, nous nous cantonnerons dans une démarche de préservation du capital. Par contre, lorsque la visibilité de nos clients est quasi illimitée et qu’il n’existe pas de contrainte particulière en terme de volatilité, nous pouvons les associer à des projets de développement d’entreprise créateurs de richesses à terme. Notre processus de gestion, résolument “top down”, s’appuie sur une étude attentive des indicateurs macroéconomiques : croissance/récession, inflation/déflation, etc. À partir de cette analyse, nous construisons le scénario le plus probable. Nous déterminons alors les secteurs les mieux adaptés à ce scénario puis, à l’intérieur de ces secteurs, les valeurs les plus aptes à générer la meilleure profitabilité. C’est à ce niveau que nous avons infléchi notre approche pour éviter de subir les effets de l’extrême volatilité dont sont trop souvent victimes les actions de grandes sociétés. Celle-ci est la résultante des nouveaux modes de gestion développés au cours des deux dernières décennies et dont le poids financier s’est considérablement renforcé ces cinq dernières années ».
C.I.: La situation des marchés vous a-t-elle amené à vous pencher sur des problématiques particulières ?
F-X.S.: « En réponse au décalage évoqué plus haut et dans la perspective d’un retour à une plus grande cohérence des marchés, nous avons créé au printemps 2003 un fonds constitué par des valeurs délaissées par les opérateurs alors que nous leur reconnaissons – sur la base de critères parfaitement rationnels et précis – la capacité d’un rebond vraiment significatif. Nous avons également sur-pondéré le secteur des matières premières pour profiter du cycle de hausse des prix entamé depuis près de deux ans et qui nous semble durable dans l’environnement que nous connaissons. Dans ces domaines comme dans les autres, la Banque d’Orsay – nantie d’un rating AA+ par FITCH – entend se distinguer par sa rigueur, sa réactivité et son expertise, mais toujours dans une vision à long terme ».