Ils forment tantôt une conciergerie de luxe, tantôt un gestionnaire de patrimoine de haute volée. Décrits comme des accompagnateurs multitâche par nature, ils sont aussi bien chargés de régler les factures des clients que de conclure pour leur compte des opérations immobilières de plusieurs millions d’euros. Les family offices étaient encore méconnus du grand public il y a quelques années. Aujourd’hui, rendus célèbres par la récente affaire Bettencourt, ils réapparaissent régulièrement sur le devant de la scène médiatique. Ces experts au service des familles les plus fortunées peuvent-ils représenter une concurrence pour les banques privées ? « On constate en tout cas que de plus en plus de clients fortunés quittent les grands établissements pour des structures plus petites et indépendantes. Bon nombre d’investisseurs ont déchanté au cours de la crise économique, reprochant aux conseillers bancaires leurs mauvais choix et leur manque de disponibilité », souligne Luc Granger, associé et cofondateur du family office Intuitæ. Nés aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, les family offices sont encore peu développés en France. On en dénombre environ une centaine actuellement, mais dans un contexte de redistribution des cartes au sein des professionnels de la gestion de fortune, ce nombre pourrait rapidement s’envoler. Aux États-Unis, le marché du family office a connu une impressionnante expansion au cours des vingt dernières années, pour atteindre aujourd’hui quelque 3 000 acteurs.
Une offre particulière
« Une des principales missions d’un family office consiste à organiser le patrimoine familial pour faire coïncider ses objectifs avec les revenus et les habitudes de vie du client », explique Luc Granger. Les cessions d’entreprise au moment d’un décès ou d’un départ en retraite sont souvent à l’origine de montants très élevés qui se retrouvent sur un compte bancaire. « L’utilisation et la gestion efficaces de ces sommes dépassent largement les compétences d’un banquier privé », poursuit-il. En cas de décès, un notaire est nécessaire pour organiser au mieux la transmission du patrimoine. Celui-ci peut avoir fort à faire, surtout si les héritiers se répartissent aux quatre coins du globe. Les enjeux fiscaux peuvent être de taille. Comment éviter de désavantager certains enfants qui vivent dans le pays où la fiscalité est la plus lourde ? Ce genre de question est du ressort d’un fiscaliste. à cela peut s’ajouter la volonté de céder une partie de la fortune à un projet philanthropique, ce qui fait encore intervenir un autre expert. Pour clarifier l’ensemble de la gestion, le family office se présente alors comme un véritable chef d’orchestre qui, en accord avec le client, met en branle tous les leviers nécessaires à une organisation optimale pour garantir la meilleure valorisation du patrimoine.
Il existe trois types de family offices : ceux qui sont dédiés à une seule famille, les multi-family offices, dédiés à plusieurs familles et dont le capital de la société est détenu à plus de 50 % par les conseillers indépendants, et les multi-family offices bancaires ou institutionnels, dont 51 % du capital appartient à un acteur institutionnel ou un établissement bancaire. La grande particularité des deux premiers types d’établissement est de garantir un conseil sans conflit d’intérêt et de proposer un panel de solutions beaucoup plus vaste que les banques privées ou les conseillers en gestion de patrimoine, qui ne bénéficient pas de cette indépendance. Un tel modèle dépourvu de commission prélevée sur les produits d’investissements rencontrait rarement le succès il y a quelques années encore. La situation a aujourd’hui bien changé. « La crise financière récente a suscité la plus grande méfiance des investisseurs vis-à-vis du système financier classique qui conduit les banques à se rémunérer en fonction de la vente de leurs propres produits, d’autant que ceux-ci ne sont pas nécessairement les meilleurs ou les plus adaptés au portefeuille du client », constate Luc Granger. Ce contexte explique qu’une approche commerciale basée sur des honoraires ou une rémunération forfaitaire séduise désormais un nombre croissant de clients fortunés. Selon une enquête réalisée par le cabinet Deloitte en novembre 2009, la première qualité des family offices est la relation de confiance dans la durée, l’accompagnement de la famille face aux événements extérieurs. Précisément le point qui constitue une zone d’ombre pour les banques privées.
Les banques privées s’adaptent
Après la récente crise économique, les banques ont ouvert de manière très importante le spectre des produits qu’elles proposent. « Auparavant, elles vendaient surtout de l’épargne financière. Désormais, elles donnent à leurs offres une multitude de nouvelles facettes. Elles deviennent des réseaux de distribution de produits de défiscalisation. Elles commercialisent de l’immobilier de prestige, des terres agricoles, des vignobles, des parti-cipations d’entreprises non cotées, des œuvres d’art… », cite Luc Granger. Une attitude en passe de devenir systématique. Tel un centre commercial haut de gamme, les banques apportent des expertises dans des domaines très variés. L’étude publiée par le cabinet Deloitte sur la gestion privée indique qu’avec la tendance actuelle, les modèles de dévelop-pement futurs doivent intégrer un ensemble de paramètres précédemment occultés ou qualifiés d’accessoires. En plus de « revisiter l’ensemble de la chaîne de traitement des opérations sur le plan qualitatif (respect des délais, disponibilité de l’information, visibilité de l’offre…), la rétention des clients, qui s’avère nettement moins onéreuse que la recherche de nouveaux clients, constitue une priorité. Le passage d’une simple proposition de produits à une véritable offre de services complets semble inéluctable. Celui-ci implique la réorganisation de la gestion privée en vue de développer une gamme de services plus vastes, bien au-delà des seules activités de gestion de portefeuilles. »
Cette évolution semble déjà en marche. Société générale Private Banking prépare le lancement, à New York, d’une nouvelle plate-forme de services bancaires très personnalisés à destination de la clientèle américaine fortunée. Aux États-Unis, l’établissement détient déjà une participation de 37 % dans Rockefeller Financial Services, gestionnaire spécialisé dans les « family offices ». Même les banques dont l’activité principale ne se résume pas à la gestion privée franchissent le pas. En France, le Crédit mutuel Arkea a pris l’an passé 15 % de participation au sein de Tikehau Investment Management (TIM). À terme, la banque a la possibilité de monter jusqu’à 34 % du capital. Une manière de se rapprocher des family offices et des grandes fortunes qui constituent l’essentiel de la clientèle de cette société de gestion indépendante. Dans son projet d’expansion territoriale, la Banque populaire des Alpes souhaite renforcer son positionnement sur les professions libérales et les entreprises de taille significative dont le chiffre d’affaires dépasse 15 millions d’euros. Un objectif qui inclut la mise en avant de son dispositif de gestion privée à destination des chefs d’entreprises et le développement de nouvelles activités de type « family office ».