Entretien avec Nancy Hughes Anthony, présidente de la Chambre de Commerce du Canada

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Créée en 1925, la Chambre de Commerce du Canada compte 170 000 membres. Son objectif majeur est de favoriser un environnement économique solide et hautement concurrentiel qui profite « à tous les Canadiens ». C’est aussi le seul réseau d’affaires de cette envergure dirigé par une femme.

Nancy Hughes Anthony a intégré la Chambre de Commerce du Canada en 1998. Présidente et chef de la direction, elle est également membre du Conseil d’administration de HSBC Banque Canada et du conseil consultatif de Service Canada. Experte du commerce international, elle a été désignée l’une des « femmes d’affaires les plus influentes » de son pays par le Women’s Executive Network et le National Post.

 

Commerce International : Bien que de nombreuses femmes travaillent dans les Chambres de commerce à travers le monde, elles ne représentent qu’un faible pourcentage aux postes de direction et de présidence. Comment expliquez-vous votre position ? Quel est votre parcours?

 

Nancy Hughes Anthony : « Au Canada, les femmes présidentes sont de plus en plus nombreuses. Ceci est en particulier dû au fait qu’elles créent aujourd’hui beaucoup de petites et moyennes entreprises. J’ai eu la chance de travailler durant vingt-quatre ans au gouvernement fédéral du Canada, où j’ai été sous-ministre dans trois ministères. J’ai ensuite intégré le secteur des assurances, pour quatre ans. Cette connaissance des secteurs privés et publics m’est très utile à la tête de la Chambre de commerce canadienne, qui représente les intérêts du secteur privé au gouvernement. D’une certaine façon, mon expérience m’a naturellement menée à ce poste ».

 

Entre autres distinctions, vous avez été élue « l’une des femmes d’affaire les plus influentes du Canada » par le Women’s Executive Network et le National Post. Que pensez-vous de cette distinction et à quelle « influence » fait-elle allusion ?

 

N.H.A. : « La Chambre canadienne représente des entreprises de toutes les tailles, dans tous les secteurs et dans toutes les régions du pays. Notre organisation est la « voix des entreprises canadiennes » au niveau national, et, de plus en plus, au niveau international. Je me réjouis de pouvoir dire que cette voix est entendue par les responsables de la politique publique au Canada. Sans fausse modestie, j’apprécie les compliments qui me sont adressés mais j’estime que cette « influence » provient du fait que je parle au nom d’un réseau très apprécié d’entreprises canadiennes, non de mon statut de femme ».

 

Nancy Pelosi, Michelle Bachelet, Angela Merkel, Ellen Johnson Sirleaf, Ségolène Royal, Patricia Russo, vous-même … Tant au niveau politique qu’économique, de plus en plus de femmes occupent des postes à haute responsabilité. Comment percevez-vous cette évolution ?

 

N.H.A. : « Il est évident que les femmes ont fait d’énormes progrès de ce point de vue, au Canada mais aussi dans bien d’autres pays. Ces succès sont significatifs lorsque l’on étudie la façon dont les sociétés ont évolué, laissant les femmes devenir actrices à part entière, qu’il s’agisse de politique, du monde des affaires ou de certains corps de métier. Lorsqu’une société ou une entreprise tire profit au maximum des talents de l’ensemble de ses citoyens ou employés potentiels, elle va évidemment en bénéficier. Et vice versa ».

 

Dans le domaine économique, les chiffres demeurent faibles. « Moins de 10 % des administrateurs et membres des conseils de direction des 300 sociétés les plus importantes cotées en bourse sont des femmes » (Ricol Lasteyrie & Associés)…

 

N.H.A. : « Même si les chiffres s’améliorent petit à petit, il reste effectivement beaucoup de progrès à faire. Beaucoup de personnes conviennent aujourd’hui que les entreprises tirent des avantages de différents points de vue et que les femmes qualifiées et expérimentées peuvent apporter leur contribution ».

 

Selon vous, faut-il laisser le temps agir en faveur d’une évolution significative, ou au contraire faut-il accélérer le mouvement par le biais de quotas – comme en Norvège (1)?

 

N.H.A. : « Je ne crois pas aux quotas mais aux forces du marché. Certaines des entreprises les plus performantes ont constitué les directions les plus diversifiées. Comme je l’ai dit, les chiffres évoluent, c’est une tendance. Au Canada par exemple, plus de la moitié des étudiants à l’université et dans la plupart des disciplines sont des femmes. On ne pouvait pas dire cela il y a vingt ans, et encore moins il y a cinquante ans ».

 

Au Canada, cette évolution semble être bien réelle. Le nombre de femmes propriétaires d’entreprises a augmenté de 50 % au cours des 15 dernières années. Mais « 41 % des femmes propriétaires de PME affirment être moins prises au sérieux que leurs homologues masculins » (étude de la banque CIBC). Avez-vous fait cette expérience au cours de votre carrière et/ou à votre poste actuel ?

 

N.H.A. : « Le sentiment d’être moins prise au sérieux que les hommes était bien plus fréquent au début de ma carrière. Je suis heureuse de voir que ma génération, et en particulier la génération de mes enfants, ne supportera pas ce phénomène ».

 

Aux États-Unis, en Chine ou en Europe, des réseaux de « Chambres de commerce des femmes » ont été créés. Le Canada en a-t-il besoin ?

 

N.H.A. : « Comme pour les quotas en faveur de la parité, non, je ne crois pas aux organisations basées sur la parité ».

 

Quel est le rôle de la Chambre de commerce du Canada (CCC), comment fonctionne-t-elle et en quoi consistent vos fonctions ?

 

N.H.A. : « Je suis présidente-directrice générale, ce qui signifie que je suis en charge des politiques et du fonctionnement de la Chambre canadienne. J’en suis également le principal porte-parole. Mais la Chambre fonctionne de façon collective : nous avons une présidence élue pour un an et un conseil d’administration qui se réunit chaque trimestre et reste en contact permanent lorsque cela est nécessaire. Nous avons également 350 chambres locales et bureaux de commerce qui sont membres et apportent leur contribution dans l’élaboration et l’adoption des politiques. À titre d’exemple, au cours de notre dernière assemblée générale annuelle en septembre à Saskatoon, dans la province de la Saskatchewan, plus de 60 résolutions ont été déposées et les délégués de l’ensemble de ces chambres, ainsi que les adhérents entreprises ont pu voter. À l’instar de beaucoup de grandes organisations, de nombreuses personnes compétentes et énergiques travaillent collectivement pour que nous représentions au mieux les intérêts des entreprises au Canada ».

 

Quelles relations entretient la CCC avec les autres Chambres à travers le monde, en particulier avec les US Chambers et Eurochambres ?

 

N.H.A. : « La CCC est le représentant canadien de la ICC (International Chamber of Commerce, ndlr) et bénéficie des liens qui existent entre celle-ci, les chambres et les comités nationaux à travers le monde. Nous entretenons un lien étroit et permanent avec la Chambre américaine. Nous partageons des intérêts importants, en particulier le commerce entre les États-Unis et le Canada et la gestion efficace de la frontière ».

 

L’une de vos priorités est la pénurie de travailleurs qualifiés, à laquelle les entreprises canadiennes et en particulier les PME, vont devoir faire face au cours des dix prochaines années. Quels secteurs sont particulièrement touchés par ce phénomène ?

 

N.H.A. : « Le secteur pétrolier et gazier, en pleine croissance, connaît des difficultés en termes d’attraction des travailleurs qualifiés dont il a besoin. Mais ce problème touche aussi beaucoup de nos industries. Notre dernier président, Russel Marcoux, qui dirige une société de transport dans l’Ouest du pays, a récemment été interviewé à ce sujet. Il a indiqué devoir laisser des camions à l’arrêt faute de chauffeurs qualifiés.
Nous avons lancé un plan d’action national sur cette question et avons mis en place un important projet de recherche, que nous espérons pouvoir achever à la fin du printemps prochain. Je ne veux pas préjuger des résultats, mais nous pouvons relever plusieurs facteurs expliquant cette situation, parmi lesquels le vieillissement de la main-d’œuvre, une économie en bonne santé créant des emplois et les difficultés éprouvées en tant que pays qui utilise entièrement le savoir-faire de nombreux immigrants ».

 

Autre action de la CCC : la publication, en partenariat avec Pollution Probe, d’un Guide des changements climatiques à l’intention des PME. Quelle est sa position concernant le Clean Air Act, très critiqué par l’opposition dans votre pays et à l’étranger ?

 

N.H.A. : « Le protocole de Kyoto a fait signer le Canada pour des raisons politiques, non après une analyse et des consultations précises qui auraient pu déterminer ce que le Canada était en mesure de réaliser dans un laps de temps donné, et à quel coût. Le pays est dans la même situation que d’autres producteurs et exportateurs d’énergie. Cela étant dit, nous croyons que le réchauffement mondial est un problème sérieux qui doit être abordé. Nous apprécions l’aspect du Clean Air Act, qui appelle à des consultations avec l’industrie. Nous pensons que nous pouvons réaliser des réductions significatives grâce aux innovations technologiques. Je pense également que l’on n’a pas accordé suffisamment de crédit aux résultats obtenus par les entreprises en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, pendant que les émissions du Canada augmentaient de 20 % entre 1990 et 2000, les émissions industrielles n’augmentaient que de 1 % et de nombreux secteurs ont réalisé des réductions significatives. Comme vous l’avez souligné dans votre question, nous nous sommes associés avec Pollution Probe, un groupe environnemental respecté, afin de rédiger un guide pour les PME au Canada, les aider à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, leur fournir une meilleure idée du phénomène du réchauffement climatique et de l’impact qu’il pourrait avoir sur leur activité. Je pense qu’il est important d’essayer de réduire les émissions, mais également de réaliser que le réchauffement mondial est bien réel et de connaître ses effets ».

 

La Chambre veut également contribuer à l’augmentation du « commerce et de l’investissement » avec la Chine. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

 

N.H.A. : « Nous avons fait du développement du commerce et des investissements avec la Chine notre priorité et la CCC a publié un rapport à ce sujet cet automne : « La Chine et le Canada : la marche à suivre ». Il présente 38 recommandations pour les gouvernements du Canada et de la Chine, afin de favoriser la croissance de l’activité économique entre les deux pays. Le Canada a une longue histoire d’engagement avec la Chine, qui remonte à 1970 et bénéficie d’une reconnaissance officielle. En outre, nous lui apportons notre soutien à l’OMC. La question des droits de l’homme persiste, et bien que cela représente un problème important pour notre gouvernement, nous croyons et avons indiqué à notre gouvernement que nous pouvons être beaucoup plus efficaces en nous engageant avec ce pays politiquement, économiquement et culturellement, qu’en tentant de les isoler et de les éduquer. Je m’y rends d’ailleurs dans le courant du mois de janvier et j’espère étendre nos liens au cours de ce séjour, en exprimant la volonté de la communauté des entreprises du Canada de collaborer».

 

Quels sont les autres grands dossiers de la CCC pour 2007 ?

 

N.H.A. : « Si je devais donner la priorité à un sujet à propos des entreprises canadiennes et des entreprises à travers le monde entier, cela serait la productivité. De nombreux enjeux se cachent derrière ce terme : établir une frontière efficace pour le commerce entre le Canada et les États-Unis, instaurer un système fiscal compétitif, des investissements en matière d’éducation et de formation (afin de posséder une main-d’œuvre éduquée et qualifiée), la recherche et le développement, réduire la bureaucratie afin que nos entreprises ne soient pas handicapées par des réglementations inutiles, etc… Le Canada est en concurrence sur le marché mondial, il nous faut donc mettre en place le climat économique idéal pour permettre à nos entreprises d’être compétitives ».

 

En conclusion, quel est votre point de vue global, en tant que femme d’expérience et présidente de la Chambre de commerce, sur la position actuelle des femmes dans le monde ?

 

N.H.A. : « Les expériences des femmes sont si variées que je ne sais pas par quoi commencer. Je peux vous dire que je me sens particulièrement privilégiée de vivre au Canada, où les femmes rencontrent de moins en moins de barrières sur la route de leur progression professionnelle. J’ai la chance de pouvoir exercer un travail qui me plaît, tout en ayant une famille heureuse et en bonne santé, le meilleur côté des deux mondes à ce qu’il paraît. Trop de gens, dont beaucoup de femmes, ne connaissent ni ma liberté ni ma chance. Mais comme je vous l’ai déjà dit, si on leur donne leur chance, les femmes peuvent énormément apporter à la société. Les contributions que les femmes ont apporté pour faire du Canada un pays meilleur et plus prospère sont considérables. C’est une route à double sens en quelque sorte, un engagement gagnant-gagnant ».

 

(1) Dans ce pays, des quotas sont imposés dans les conseils d’administration des 650 sociétés les plus importantes.