Bien que réguliers, les investissements des entreprises familiales se caractérisent par une grande prudence. « C’est autant un inconvénient qu’un atout », estime Bérangère Deschamps, maître de conférence à l’IAE (Institut d’administration des entreprises) de Grenoble et chercheure au CERAG (Centre d’études et de recherches appliquées à la gestion).
Les sociétés familiales déboursent en fonction de leurs moyens, souvent moins que les autres entreprises et sans prise de risque excessive. Les investissements à caractère stratégique ne représentent que 14 % des dépenses. On trouve assez peu d’opérations de diversification. « Très souvent, les entreprises familiales réagissent aux contraintes de leur environnement en respectant scrupuleusement leur cœur de métier, ce qui peut constituer un frein aux évolutions », explique Joachim Schwass, professeur d’économie à l’IMD (International Institut for Management Development) de Lausanne et spécialisé dans les stratégies d’entreprises familiales.
Leurs capitaux propres sont plutôt faibles même s’ils ont tendance à augmenter. Ils représentent 24 % du chiffre d’affaires contre 52 % pour les entreprises du SBF 250. Les structures familiales distribuent peu leurs fonds. Selon un rapport publié par KPMG sur les entreprises familiales, la hausse des dividendes n’est un objectif que pour 14 % des dirigeants. La même étude révèle que leur degré d’endettement ne représente que 32 % des fonds propres, contre 78 % dans les autres entreprises.
Les dangers du repli sur soi
La culture de la proximité qui caractérise les groupes familiaux se vérifie aussi au travers des relations avec les fournisseurs. Même pour les entreprises internationales, ceux-ci sont d’abord français, et dans un deuxième temps européens, tout comme les clients. Les sociétés familiales réalisent une grande part de leur chiffre d’affaires avec une clientèle très restreinte. 21 % d’entre elles obtiennent plus de la moitié de leur chiffre d’affaires avec seulement trois clients. « C’est une posture dangereuse, surtout lorsqu’on sait que les marchés deviennent de plus en plus concurrentiels et que les clients étudient en permanence les différentes offres susceptibles de les intéresser », indique Joachim Schwass.
En termes de participations, on remarque que le poids de la famille est souvent très fort. Dans 86 % des PME familiales françaises, elle détient plus de 60 % du capital. L’entreprise est détenue à plus de 10 % par un investisseur privé dans seulement 19 % des cas. En conséquence, 64 % de ces entreprises sont dirigées par les petits-enfants du fondateur. Seuls 20 % des patrons envisagent de céder leur société à un industriel du secteur. « Ce n’est pas forcément un bon choix. Toutes les entreprises ne sont pas bonnes à transmettre. Il est parfois dans l’intérêt de tout le monde de vendre la structure, mais une telle décision peut être dure à accepter pour la famille », souligne Bérangère Deschamps.
En privilégiant le long terme pour valoriser leur patrimoine et le transmettre dans son intégralité aux héritiers, les sociétés familiales se trouvent souvent obligées d’assumer seules le risque d’une faible rentabilité et d’un lourd endettement. Le refus d’ouvrir le capital à des partenaires extérieurs et le goût pour l’indépendance obligent au financement par la dette. « Le manque de moyens financiers qui en découle limite parfois les possibilités d’investissements », poursuit-elle. Au-delà de 75 millions d’euros de chiffre d’affaires, il est rare que les familles disposent des moyens de financer le développement.
Pour Joachim Schwass, « la gestion en bon père de famille et le souci de disposer de réserves en cas de coup dur empêchent l’endettement à l’extérieur et la diversification du capital. Cette question devient d’autant plus sensible lorsqu’il existe des conflits d’intérêts possibles entre l’actionnaire qui engage son patrimoine personnel et le manager familial qui doit faire fructifier ces fonds en prenant des risques opérationnels. » Le pôle Recherche & Développement, pourtant reconnu comme un facteur important de différenciation face à la concurrence, n’existe en tant que fonction centrale que dans 37 % des entreprises.
Bien que cet aspect soit crucial pour préparer l’avenir, 39 % d’entre elles y consacrent moins de 1 % de leur chiffre d’affaires. Le service commercial est davantage perçu comme un élément essentiel. Ainsi, 83 % des groupes familiaux le considèrent comme une fonction stratégique centrale de l’organisation. Autre insuffisance des entreprises familiales : l’ouverture à l’étranger et l’internationalisation de l’offre. 77 % des fournisseurs de sociétés familiales françaises sont également installés dans l’Hexagone. Parmi celles qui sont déjà tournés vers l’étranger, seules 18 % envisagent de se tourner vers l’Asie pour diminuer leurs coûts.
Elles privilégient le développement et la création d’emplois dans leur pays d’origine, dynamisant ainsi l’économie nationale, mais se privant d’opportunités. « Le développement en Europe est devenu assez simple, mais les PME éprouvent toujours des difficultés à travailler à l’international. Les blocages culturels, la barrière de la langue et la méconnaissance des contraintes légales sont davantage un problème pour les entreprises familiales que pour les autres », constate Joachim Schwass. Conclusion de l’étude de KPMG : pour que les comportements évoluent, il faut une plus grande confiance dans le moyen terme ainsi qu’une meilleure fluidité des modèles de financement tant bancaires que de la part des fonds d’investissement.