Débrayages, grèves, ruptures de stocks, absentéisme… Ces dommages collatéraux de la révolution n’ont pas entamé la volonté de Leoni d’intensifier sa présence en Tunisie. Au cours des douze derniers mois, ce spécialiste du câblage automobile a créé 2000 emplois dans ce pays, où il est présent depuis 1977 (quatre sites de production, 13 000 salariés). Comme lui, de nombreux industriels allemands misent sur le processus démocratique du pays et veulent faire de la Tunisie leur principal partenaire au Maghreb. En sept ans, les IDE (investissements directs étrangers) allemands en Tunisie ont doublé à 17,70 euros par habitant (7,90 euros pour l’Égypte, 6,40 euros pour le Maroc).
Certes, si l’Allemagne est le troisième partenaire économique de la Tunisie, sa présence reste, avec 274 entreprises, modeste face aux 1270 entreprises françaises et aux 744 italiennes. Mais ces industriels allemands, pour la majorité des PME spécialisées dans l’électronique, la sous-traitance automobile et le textile, comme le précise la AHK (Chambre de commerce et d’industrie tuniso-allemande), tiennent à renforcer leur pole position. Leurs investissements ont grimpé de 90% pendant la dernière décennie et leurs effectifs locaux ont augmenté de 40%, passant à 50 000 personnes. Au cours du premier trimestre 2011, les exportations à destination de l’Allemagne, principalement issues de ces industries manufacturières, ont augmenté de 2,9%, à 840 millions d’euros, comme le note l’agence allemande GTAI (Germany Trade&Invest). Cette croissance conforte les excédents d’une balance commerciale qui s’est inversée pour la première fois en 2010 au profit des exportations vers l’Allemagne.
Ce n’est pas tant l’accélération des investissements des entreprises allemandes sur le sol tunisien qui retient l’attention des observateurs, mais plutôt la méthode d’implantation. Les entreprises allemandes ne procèdent pas à une simple délocalisation de leurs productions intensives en main-d’œuvre, dans un pays aux salaires 20 fois moins élevés que chez eux. Ils font monter en gamme ces activités. “La Tunisie dispose d’une main-d’œuvre bien formée qui nous permet des process de fabrication très complexes, demandant une intervention importante de main-d’œuvre et que nous ne pourrions pas nous permettre en Europe centrale”, explique Sven Schmidt, porte-parole de Leoni.
“Les Peco (pays d’Europe centrale et orientale) étant devenus trop chers, les industriels allemands se replient sur la Tunisie; ils y reproduisent le même modèle d’intégration industriel déployé dans ces pays au cours des années 1990”, remarque Maxime Weigert, chercheur à l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen). “Les Allemands sont quasiment les seuls investisseurs étrangers à miser sur le partage de la valeur ajoutée”, poursuit-il, citant des activités connexes aux sites de production comme l’administration, le design, la R&D… qui “mobilisent une main-d’œuvre qualifiée locale et contribuent à une meilleure intégration du système productif tuniso-allemand, n’hésitant pas à s’associer aux pôles de compétitivité locaux.” Selon lui, ces entrepreneurs font “un pari audacieux qui pourrait bien faire d’eux, à l’heure des révolutions arabes, les précurseurs d’un nouveau modèle de coopération Nord-Sud.” Cet exemple d’une “stratégie possible” pourrait avoir un effet d’émulation sur l’ensemble des investisseurs étrangers.