CCI Marseille Provence : le plan « merchandising »

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Commerces et … plus si affinités. La deuxième ville de France, au chevet de ses linéaires commerciaux, veut reprendre l’initiative sur la dévitalisation de son cœur de ville, en se voulant à l’avant-garde urbaine, le seuil d’alerte ayant été posé froidement dans un état des lieux réalisé par l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (Centre-ville de Marseille : Pour un nouvel élan économique) sur les dynamiques de l’emploi salarié privé dans l’hyper-centre.

On rembobine. Sur une session de temps condensé, une petite dizaine de nouveaux centres commerciaux, totalisant plus de 150 000 m2, auront colonisé le centre-ville de Marseille, dont la plupart pour donner vie au quartier de d’affaires en émergence, Euroméditerranée, à l’endroit des anciennes friches portuaires. Aujourd’hui, avec un total de près de 740 000 m2 commerciaux, le marché marseillais peine à absorber la suroffre, engendrant un découplage important entre les boutiques des quartiers historiques encadrant le Vieux-Port (CBRE estime la perte de leur chiffre d’affaires à 15 %) et les nouvelles destinations-clients de la façade portuaire où se sont érigés Les Terrasses du Port, Les Voûtes de la Major, Les Docks, mais aussi l’« objet-monde » culturel, le MuCem (Musée des Civilisation de l’Europe et de la Méditerranée).

Conséquences directes : les valeurs locatives varient dans le centre-ville  de 1 200 à 1 500 € HT pour les meilleurs actifs. Et les investissements commerciaux ont à peine atteint les 18 M€ en 2015, soit une baisse de 61 % sur un an.

Opération : sortir du cercle vicieux

Pour s’extraire du cercle vicieux de la déshérence de son hypercentre, contenu entre son 1er et son 6e arrondissement, les élus de la ville en grand renfort*, commerçants, représentants consulaires et économiques, de l’immobilier et de l’innovation, réunis ce 19 avril par l’Agam au sein de Make it Marseille, une « marketplace » (ateliers partagés outillés) au cœur du 6e arrondissement, semblent converger vers une stratégie globale visant à traiter simultanément tous les problèmes : fonciers et immobiliers, déplacements (mobilité, accessibilité, connexions…), habitat et les activités dites de « centralité » (culturelles, touristiques, loisirs, services publics…).

Dans un contexte de mise en place des exécutifs de la nouvelle Régions (dont les compétences incluent désormais le développement économique et l’aménagement du territoire) et de la Métropole, il fut donc question de renouvellement de l’identité économique pour faire du centre-ville marseillais une adresse préférentielle pour les créateurs d’entreprises, « matière première du tissu commercial », afin de créer un effet levier sur l’attractivité.

L’étape d’après la colère et les doléances

Cela faisait bien longtemps que l’on n’avait pas entendu parler du cœur de ville dans d’autres termes que ceux du déclin.

Bien longtemps qu’une réunion publique autour de l’ultra sujet sensible du commerce, avec en ombre portée pas-de-porte fermés, ne s’était pas soldée par des coups de sang à l’endroit de « choix politiques » qui auraient déplacé les polarités commerciales.

Bien longtemps aussi que la propreté, la sécurité, la qualité de l’espace urbain (éclairage, mobilier urbain, végétalisation) et la stratégie d’offre commerciale (complémentarité des commerces, offre diversifiée) n’avaient pas été énoncés comme de simples prérequis et non plus comme des solutions-miracles pour requalifier un centre-ville.

Le centre-ville, « localisation optimale » pour des activités innovantes

Repositionner le cœur de ville sur les écrans-radars pour des projets liés aux innovations technologiques, culturelles et sociales, Christian Rey signe des deux mains. « Les générations Y et Z cherchent des lieux d’accélération, et se posent dans des espaces connectés par des transports efficaces et rapides, favorisant la création et les rencontres et où les logements ne sont pas chers », décrypte le directeur de Marseille Innovation, un accélérateur public de start-ups, dont les projets sont à 85 % dans le numérique.

Pour ce faire, la troisième capitale régionale de l’économie numérique, avec ses quelque 30 000 emplois salariés privés, se verrait bien quadriller son espace avec des concepts proches du Tube à expérimentations urbaines (TUBÁ, photo), un établissement public/privé lyonnais dédié à l’expérimentation de services innovants dans la ville, explique Léthicia Rancurel, présidente de l’association Lyon Urban Data, invitée pour la rencontre. Ou de Darwin, 20 000 m2 pour explorer les voies entre économie et écologie plantés aux avant-postes du futur éco-quartier bordelais qui entend reconquérir 34 ha de friches militaires et ferroviaires. Voire du Cargo à Paris, voué aux contenus numériques et industries créatives. Des lieux similaires, entre fablab, coworking, et comaking, ont commencé à essaimer au centre-ville comme Make it Marseille ou La fabulerie.

Accueil de start-ups, enjeu de compétition entre territoires

« L’accueil de start-ups est devenu un enjeu de compétition extrêmement fort au niveau national et international et ces nouveaux lieux sont un élément de réponse », explique Jean-François Royer, directeur général adjoint délégué à la stratégie urbaine au sein de l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée, qui conduit ce qui est présenté comme la plus vaste (480 ha) opération de restructuration urbaine en Europe.

« On s’est attaqué à des zones où l’attractivité était nulle et pauvre aux yeux des investisseurs. Aujourd’hui, de grandes signatures internationales s’y sont ancrées et la moitié des investisseurs sont aujourd’hui étrangers »,encourage-t-il.

Le numérique, levier de notoriété pour les commerces de proximité ?

« Dans un contexte croissant de mondialisation et d’internationalisation, les métropoles doivent être des lieux d’attraction commerciale, entrepreneuriale et d’innovation », abonde Jean-Philippe Hanff, directeur général adjoint de la Métropole en charge de la stratégie et de l’attractivité économique. Le transfuge du ‎Grand Lyon croit aussi aux industries créatives et à l’économie numérique pour faire revenir des actifs en ville : « ces nouvelles économies sont intéressantes pour le centre-ville car les start-uppers ont des profils urbains. Le centre-ville doit par définition se positionner sur ces populations en travaillant son offre », préconise le DGA, qui voit dans la smart city un laboratoire pour expérimenter « de nouvelles applications en termes d’innovation sociale, de services ou d’usages».

La culture et le tourisme pour sauver le commerce

« Attirer des activités innovantes ne peut pas être la seule voie économique, réagit Didier Bertrand, élu à la CCI Marseille Provence et gérant de l’agence immobilière Le Marquis, pour qui « la requalification du quadrilatère Canebière-Castellane / Lieutaud-Breteuil, est une priorité métropolitaine » (idée qui fédère l’ensemble des décideurs).

« Il ne s’agit pas de plaquer sur ce territoire des modèles économiques qui ont réussi ailleurs. Quand on l’a fait par le passé, on a échoué. Inutile de vouloir reproduire l’Avenue Montaigne ou le Quartier Latin. Il faut récréer un centre-ville avec son identité propre et partir de son Ground Zéro ».

Pour ré-attirer des activités économiques, poursuit celui qui est aussi secrétaire général de la FNAIM 13, « il faut une offre qui agrège toutes les composantes : immobilier de qualité adapté aux différents usages (bureaux, loisirs, commerce, culture) et activités commerciales bien marketées. La culture est un moteur pour le centre-ville et un tremplin pour attirer de nouveaux publics, moyennant des parcours urbains facilitant la déambulation ».

Depuis 2010, la CCI Marseille Provence planche sur le sujet et défend une stratégie transcendant toutes les fonctions urbaines, articulant attractivité touristique, valorisation du patrimoine (via la labellisation Unesco), scénographie de la ville autour d’itinéraires originaux (à l’instar d’un circuit des architectes autour des bâtiments réalisés par Pouillon, Le Corbusier, Zaha Hadid), traitement d’axes clefs pour en faire des signatures du centre-ville…

Gouvernance nécessaire pour décloisonner les stratégies d’acteurs

« Couplé à la forte attractivité de l’opération Euroméditerranée et aux initiatives déjà engagées rue Paradis, le Vieux-Port, la Canebière** pour requalifier ces artères … tout est enclenché pour que le centre-ville réussisse. Pour cela, il faudra rester très structuré », insiste Laure-Agnès Caradec, présidente de l’Agam et adjointe à la Ville de Marseille en charge de l’Urbanisme, en soulignant que la Soleam (Société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire Marseillaise) a identifié 35 îlots de renouvellement urbain, pour la plupart en centre-ville.

 « Dans les projets de rénovation de centre-ville, les parties prenantes sont nombreuses. Cela nécessite une gouvernance forte et concertée, interpelle Didier Bertrand. Un véritable « Plan Marshall » devrait être établi au plus tôt avec les différents acteurs publics et privés  afin de décloisonner les stratégies d’acteurs (collectivités, promoteurs, financiers, associations de commerçants, NDLR), les rendre cohérentes et dépasser les seules logiques de court terme. Pourquoi ne pas imaginer aussi une structure juridique adaptée permettant de réunir partenaires publics et privés de type syndicat mixte ? », propose-t-il tout en évoquant le levier offert par dispositif de ZFU-Territoire entrepreneurs (cf. Commerces et entreprises : des exonérations fiscales grâce à la nouvelle politique de la ville).

Il y a quelques semaines, une partie des commerçants et l’Union pour les entreprises des Bouches-du-Rhône (Medef local) avaient déjà milité en ce sens dans un moment de vive tension.

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