Né en 1948 en Algérie, Alain Afflelou arrive en France en 1962. Après l’obtention de son diplôme d’optométrie, il ouvre son premier magasin à Bordeaux. En 1978, il innove dans le métier en laçant « La moitié de votre monture à l’œil ». Un an après, il franchise le concept. En 2006, le PDG prépare en douceur sa succession et cède, avec Apax Partners, les 2/3 de ses parts d’Afflelou SA au fonds d’investissement Bridgepoint.
Commerce International : Les ventes annuelles des enseignes Alain Afflelou ont atteint 525 millions d’euros sur 2005-2006, soit une progression de 6,6 % par rapport à l’exercice précédent. Le réseau a plus de 25 ans, son image est toujours aussi jeune. Comment expliquez-vous ce succès ?
Alain Afflelou : « Je crois que c’est la constance dans l’effort et dans l’application d’une stratégie qui consiste à dire : ne prenons jamais nos partenaires pour des gens que nous n’irons voir qu’une seule fois. Que ce soit pour les opticiens en face de leur client, puisqu’ils doivent les satisfaire. Ou enfin vis-à-vis de nos partenaires franchisés, car en leur donnant satisfaction nous obtenons en retour des performances. Voilà la clé de notre succès, et elle est loin d’être appliquée dans toutes les entreprises que j’ai pu rencontrer. Chez nous c’est une règle d’or, parce que l’on souhaite se diriger en permanence vers l’amélioration de nos performances et des prestations que nous fournissons aux franchisés. Un bon commerçant aime faire plaisir à son client. »
Vous avez été pionnier en annonçant 50 % de réduction sur les montures, puis plus tard ce fut les verres en polycarbonate, Tchin Tchin, les enseignes Plurielles, etc. L’innovation est toujours au centre de vos stratégies ?
A.A. : « Nous sommes dans une époque où tout bouge et où il ne faut pas rester figé. L’optique est un monde qui n’avait jamais évolué, pourtant, il a énormément changé durant les trente dernières années, et peut-être notre enseigne y est-elle pour quelque chose ? Or pour bouger il faut de l’innovation, mais à condition qu’elle réponde aux attentes des consommateurs. Des attentes qui sont bien souvent subliminales, c’est-à-dire que les gens ne savent pas qu’ils ont besoin de ce produit. Ils savent seulement qu’ils ont un problème particulier à régler. Et tant qu’on ne leur propose pas de réponse, ils ne savent pas comment faire. Notre métier est donc de proposer des réponses à des problèmes que nous n’avons non pas anticipés, mais plutôt révélés.
D’une manière générale, il faut que les innovations soient utiles et accessibles. Utiles dans le quotidien des gens, et accessibles car le plus grand nombre doit pouvoir en bénéficier. Or je crois que le plus grand besoin du porteur de lunettes, c’est justement de supprimer ses lunettes. Sachant que les gens portent des lunettes à contrecœur, que celles-ci sont payantes et chères, il faut faire en sorte de rendre moins indigeste cette équation. La question est comment rendre attractif ce produit ? Alors on travaille, niche par niche, produit par produit. Lorsqu’on a créé La Forty, nous avons répondu aux besoins des gens qui voient bien de loin, mais qui devenus presbytes, ont des problèmes pour se corriger. Quand on a fait Tchin-Tchin, on procure un mieux-être aux gens en leur offrant une deuxième paire de lunettes adaptées à leur vue. Quand on a lancé, plus récemment, l’offre Protect, nous garantissons une sécurité aux yeux de nos clients avec des verres incassables. Enfin aujourd’hui, puisque nous savons que les enfants ont besoin d’avoir des montures qui leur plaisent. Nous nous battons pour avoir les marques les plus réclamées par les jeunes générations. Nous leur avons créé un environnement qui leur est propre, et qui n’existait pas encore. C’est quand même très révolutionnaire. »
Finalement, vous vous sentez encore davantage opticien que franchiseur ?
A.A. : « Il me semble quand dans mon discours, je parle des consommateurs, je parle de la vue, des verres, et des besoins. Mais un opticien est quelqu’un qui a une double casquette. Il est à la fois professionnel et commerçant. Si j’ai une qualité c’est peut-être d’être aussi bon opticien que bon commerçant. En termes de franchises, il y a des gens qui sont censés être de bons opticiens, et nous leur proposons notre savoir-faire en marketing pour leur permettre d’avoir plus de clients. C’est une assez bonne définition de ce que nous faisons. Nos opticiens sont tous des commerçants et des professionnels de la vue. »
Vous rencontrez toujours vos franchisés ?
A.A. : « Bien sûr, je rencontre mes franchisés comme lorsque j’étais opticien en magasin. On ne peut pas faire ce métier sans être en contact avec les clients. Or aujourd’hui, mes clients sont mes franchisés. Une à deux fois par semaine, je suis en région pour des réunions avec eux. Je me déplace pour les écouter et leur dire ce que je ressens, ce que nous faisons. Ils font souvent preuve d’un esprit critique constructif. »
Estimez-vous avoir atteint un seuil quant au nombre de franchisés en France ?
A.A. : « Nous avons en France 300 franchisés ce qui représente un peu plus du double en nombre de magasins. Mais la vie est un éternel mouvement, et nous n’avons rien atteint du tout. Il y a des endroits, des rues, des quartiers, des villes où nous sommes très bien représentés. D’autres où nous ne le sommes pas assez. Et encore d’autres où il va falloir bouger parce que le quartier n’est plus bon, ou le centre commercial n’est plus le meilleur. Puis nous évoluons en permanence dans la surface des magasins. Il y a 15 ou 20 ans, on considérait qu’un beau magasin faisait de 50 à 70 m2, alors qu’aujourd’hui il doit être au moins de 150 m2 ! En fait, il y a le commerce de nos parents et de nos grands-parents, où un emplacement était choisi presque pour la vie. Et le commerce d’aujourd’hui, où personne ne peut dire qu’il restera dans un lieu indéfiniment. Et puis il y a des modes. Ouvrir dans le quartier du Marais à Paris il y a 25 ans, c’était suicidaire. Maintenant c’est très branché. Sans savoir d’ailleurs si cela va durer. Alors nous devons en permanence suivre ces mutations. »
Vous qui avez connu les balbutiements du développement de la franchise en France. Comment l’observez-vous aujourd’hui ?
A.A. : « D’abord la franchise s’est bien développée dans notre pays. Il faut repenser qu’il y a encore quelques années, l’encadrement juridique et technique n’existait pas. N’importe qui pouvait devenir franchiseur. Mais il y avait néanmoins cet engouement vers le principe de la franchise, avec évidemment des flops qui ont été relativement retentissants et qui ont freiné son développement. Aujourd’hui l’équilibre est trouvé. Il y a de vrais franchiseurs, de vraies chaînes, avec des franchisés qui prospèrent. Je pense d’ailleurs que de plus en plus de commerçants, entre guillemets indépendants, rêvent de devenir franchisés, quels que soient la marque et le domaine. La franchise c’est la garantie de bénéficier d’un savoir faire, d’une image, d’une notoriété, d’une politique commerciale, d’une exclusivité, et d’une clientèle. Et aujourd’hui n’est-ce pas là le plus important ? Et je ne parle même pas du marketing et de la publicité ! En prenant une enseigne connue, j’attire du monde, j’existe et je me protège par rapport à la concurrence. »
Si vous étiez aujourd’hui un jeune opticien, seriez-vous franchisé ?
A.A. : « Oui, car quand j’ai fait la franchise et le contrat de franchise, je l’ai fait tel que j’aurais été capable de le signer. À l’époque où j’ai commencé, il y avait d’autres groupements, mais j’ai toujours refusé d’y adhérer car je ne voyais pas l’intérêt de m’affilier à une structure uniquement pour bénéficier de conditions sur les achats. J’ai toujours pensé que ça ne servait pas d’améliorer ses performances d’achat si on n’avait pas de client. En revanche, si j’ai des clients et si je vends bien, je n’aurai aucun mal à négocier mes achats. Donc quand en 1979, lorsque je prends cette direction qui m’amène à devenir franchiseur, ma règle d’or est de dire qu’il faut que je fasse un contrat qui vaut être signé. Et dès le départ, les gens qui m’ont rejoint étaient des personnes avec qui j’avais beaucoup d’affinité. Très paradoxalement, nous n’avons jamais réussi, mais nous ne l’avons pas cherché non plus, à affilier des gens qui venaient d’autres groupements. Je ne dis pas que les autres ont tort et nous raison. Nous avons simplement des conceptions très différentes du commerce et de la vie associative. Car la franchise c’est du commerce associatif. »
Pensez-vous que le développement de la franchise en France est un modèle en Europe ?
A.A. : « Je ne me suis pas penché sur des études – car je ne suis plus au fait de tout comme j’ai pu le faire et je m’occupe de tout à fait autre chose maintenant, – mais je sais que la franchise existe en Allemagne et aussi en Espagne. Cependant, je ne suis pas sûr que derrière le concept du mot franchise tout le monde entend la même chose. Il y a davantage de coopératives, de développement sous licence de marques, ou de concessions de marque. En France, on appellerait ça du succursalisme. J’ai un confrère en Angleterre qui fait de la franchise. Mais en fait, le franchisé est associé minoritaire au franchiseur, qui est également propriétaire du magasin. En fait c’est une gérance libre. Il dit à un opticien, je vais vous donner des parts, mais la boutique c’est nous, tout comme les produits et la comptabilité. C’est un lien de dépendance. Chez nous, les gens sont autonomes et indépendants. S’ils se franchisent, c’est pour bénéficier d’une enseigne, de la politique commerciale, et d’une exclusivité liée à la notoriété. En contrepartie, il faut qu’ils en acceptent les contraintes, c’est-à-dire faire un magasin conforme au cahier des charges de l’enseigne et respecter le cadre du contrat de franchise. Mais quand je vois certaine chaîne en France, même en dehors de l’optique, je me dis que d’un point de vue déontologique, la franchise, telle qu’elle est définie dans notre pays, est très bien pratiquée. »
Quand démarre le déploiement d’Alain Afflelou sur l’international ? À l’entrée en Bourse du groupe ? Au moment du rachat d’Optique Carrefour ?
A.A. : « Le rachat d’Optique Carrefour nous a effectivement positionné d’un seul coup sur un gros marché. Certes, nous avions 3 ou 4 magasins en Belgique, mais c’était sans grande conséquence. En Espagne, nous avons donc acquis 68 magasins, que l’on a revendus à des franchisés. Alain Afflelou Espagne compte aujourd’hui 142 magasins. Notre développement en franchise a fonctionné, et nous espérons doubler le nombre de magasins d’ici 3 ans. En Belgique, on représente aujourd’hui 22 magasins, et en Suisse, il y aura 12 magasins à la fin de l’année. Nous avons également de grand projet pour le Maghreb.À l’heure actuelle on peut dire qu’Alain Afflelou a de véritables propositions et des offres en Europe, et je pense que nous faisons partie des acteurs incontournables. En tout cas, des interlocuteurs auxquels les banquiers proposent systématiquement des affaires dont ils entendent parler pour racheter ou fusionner sur le marché européen.Les efforts doivent demeurer constants puisque nous réalisons notre chiffre d’affaires à l’étranger seulement à hauteur de 15 %. J’aimerais qu’un jour, le groupe fasse 50 % en France et 50 % à l’étranger. Être uniquement franco-français est devenu dangereux. »
Le secret de l’enseigne Alain Afflelou d’un point de vue marketing, c’est quoi ? Est-ce d’avoir placé son PDG au centre de toutes ses campagnes publicitaires ?
A.A. : « Vous savez la chance de cette enseigne est d’avoir un chef d’entreprise qui existe. Ce chef d’entreprise, la vie a de l’emprise sur lui. Il est capable d’agir et de réagir, de penser et d’évoluer. Donc quand, il y a 20 ans, les publicitaires ont estimé qu’il serait bien de m’utiliser dans la pub, j’ai été d’accord. C’était un risque, mais finalement nous y avons gagné. Voilà maintenant 4 ans que je n’apparais plus dans nos films publicitaires. Le plus amusant c’est que j’entends encore en permanence des gens me dire qu’ils m’ont trouvé très bien dans la dernière campagne à la télévision… Je n’ai pas dit que je ne reviendrai pas dans la pub, ni d’ailleurs que j’y réapparaîtrai. Il ne sert à rien de s’enfermer dans des principes. Je serai présent à nouveau, si c’est utile. Utile pour la pub et pour l’enseigne Alain Afflelou. »